Les rêves et les anges dans la réflexion scientifique

Publié le 30/04/2021

  • Les rêves et les anges dans la réflexion scientifique

Sébastien Renault

Les rêves (ou songes, ḥalomot, en milieu biblique) et le rôle essentiel des anges [1]

À propos des rêves prophétiques, notre correspondant Ch. écrit :

« […] ils restent là dans la conscience, comme des énigmes ; nos anges savent ce qu’ils signifient, mais nous non, au moins au départ. C’est plus tard que leur sens s’éclaire, quoiqu’ils agissent même lorsqu’on n’y comprend rien… »

La difficulté provient de ce que le caractère à priori indéchiffrable de l’information archétypale contenue dans de tels messages (les rêves), non seulement échappe à nos lois d’interprétation usuelle (« on n’y comprend rien »), mais peut encore pourvoir les anges malveillants (les démons) de matière, de façon à s’immiscer « sous faux drapeaux » oniriques. D’où la nécessité d’une attention spéciale (et guidée) aux rêves, doublée d’un certain détachement (ou patience) par rapport à leur sens profond. L’univers des rêves repose d’abord sur ses propres lois et modes d’interprétations – pas grand-chose à voir avec les projections et théories du vieux Freud autour de la psychologie des processus du rêve…

Le domaine strictement invisible de la création – domaine intellectuellement gouverné par la fonction prophétique des différents chœurs d’anges (« prophétique », c’est-à-dire bien sûr par rapport à l’intelligence de l’homme naturellement ouverte, mais aveugle au monde invisible) – se manifeste pour nous principalement à travers l’analogicité des formes visibles du monde et l’information énigmatique en quoi consistent nos rêves. Mais nul ne s’improvise herméneute qualifié d’un tel contenu (n’est pas Joseph d’Egypte ou Joseph le Charpentier qui veut !). Ce sont évidemment les anges qui nous guident. D’ailleurs, à ce propos, le fait de faire cas des anges n’est pas du tout l’apanage des musulmans (qui n’en sont pas moins justifiés dans leur dévotion et fidèle recours aux anges). La véritable doctrine et pratique catholique (pré-moderniste) fait une place majeure aux anges, selon l’enseignement et la tradition scripturaire. Leur existence et fonction font partie intégrante du déposé de la foi (et sont par ailleurs conformes à la raison). Pour un catholique pratiquant et spirituellement avisé, croire et recourir aux anges et à leur ministère d’illumination, de protection et de gouvernement n’est donc pas du tout optionnel. Nous y sommes tenus. Comment, en effet, pourrait-on hériter du salut sans respecter, accueillir et humblement prier les messagers du salut ?

Mais l’importance des anges dans l’ordre de la connaissance par l’intermédiaire des rêves est encore certifiée à travers le monde et toutes les grandes traditions religieuses. Les exemples fourmillent. L’un de mes cas favoris est celui de l’extraordinaire mathématicien indien, Srinivâsa Ramanujan (qui vécut au début du XXe siècle, et fut complètement autodidacte), de profession traditionnelle brahmanique. Ramanujan attribuait ses découvertes (tout-à-fait hors du commun en théorie des nombres) à la présence d’asuras bienveillants – d’anges védiques, ou devas – qui le visitaient par le truchement des rêves. Il fut ainsi dépositaire de visions de rouleaux d’équations mathématiques que les anges déroulaient, de nuit, devant les yeux de son esprit (l’initiant par-là au sens caché de ces relations abstraites, au-delà de la seule mécanique d’une approche mathématique purement algorithmique et dépouillée de toute inspiration). D’où l’une de ses phrases les plus célèbres :

« Une équation n’a pour moi aucun sens, à moins qu’elle ne représente une pensée de Dieu. »

Le logicien le plus pénétrant du XXe siècle, Kurt Gödel, disait encore des anges qu’ils étaient « les seuls vrais mathématiciens » (autrement dit, qu’il n’en est rien chez les hommes, y compris des « mathématiciens » professionnels).

Dès lors qu’il existe (comme la saine raison peut l’établir assurément) une réalité non-sensible, à savoir des réalités qui échappent à l’ordre de la perception sensible, le ministère des anges est indispensable. Le milieu des rêves, pour nous essentiellement énigmatique, procure aux instances angéliques d’inspiration bonne ou mauvaise un terrain épistémologique de nature à proprement parler mythique (selon le sens originel du grec μῦθος), c’est-à-dire « caché ». Les saints anges de Dieu y ont accès pour guider les hommes vers le domaine de la connaissance sacrée – celle de la vision béatifique du Dieu véritable, unique et trinitaire, l’objet inexhaustible de l’adoration incessante de toute la Cour Céleste (cf. Apo 7, 11).

Toute la tragédie grecque (Eschyle, Sophocle, Euripide) est une immense manifestation d’un muthos d’énigmes universelles médiatisées par le gouvernement prophétique des anges. Le rôle explicateur du logos discursif humain intervient plus tard pour réduire le muthos (qui le dépasse de partout) à ce qu’il peut en retraduire de manière immédiatement (communément) intelligible. L’aveugle prophétiquement visionnaire de l’Évangile, lorsqu’il perçoit les hommes « marchant comme des arbres », est initié à l’authentique vision du muthos caché en l’homme. Le logos de la psychanalyse moderne y entrevoit (de manière par trop réductrice) un symbolisme plus ou moins « archétypal » (un symbolisme que celle-ci tend à dissocier de son fondement ontologique réel), alors que l’exégèse moderne dite « scientifique » (une entreprise essentiellement méthodologique de démythologisation historico-critique) n’y reconnaît guère plus qu’un simple symptôme littéraire (afférent à un style métaphorique) de pensée prélogique (en quoi, soulignons-le, elle se fourvoie au plus haut point).

Nous rêvons, mais l’ignorons souvent (sans parler encore du sens de « nos » rêves). Une bonne nouvelle, c’est que les « équations » psycho-spirituelles de nos vies, ô combien énigmatiques pour nous, ne pourraient avoir de meilleurs résolveurs que nos fidèles et infatigables anges gardiens (une donnée universelle et, souvent, expérimentale).

------------------------

[1]  Cet article est le deuxième d'une série de réflexions composées et regroupées par Sébastien Renault sous l'intitulé ÉLÉMENTS POUR UN VRAI DIALOGUE, série destinée à constituer la première partie d'un ouvrage monumental intitulé À TEMPS ET À CONTRETEMPS, dont le site Entre la Plume et l'enclume a déjà publié une série de chapitres constituant la deuxième partie.

L'auteur s'explique : 

Les extraits choisis et compris dans cette première partie sont tirés de notre correspondance avec différents interlocuteurs et auteurs, français pour la plupart. Ils constituent comme une mosaïque d’essais miniatures et d’éléments pour un dialogue. Nous les publions donc ici un peu comme on jetterait une bouteille à la mer, d’abord pour la voir flotter joyeusement, puis débouchée, voire même, peut-être, « déchiffrée » avec curiosité...

Comme le verra le lecteur intéressé, nous présentons une panoplie thématique visant à situer, dans la pluralité disciplinaire qui nous occupe le plus souvent, l’unité d’une réflexion qui se construit au jour le jour, selon la dialectique de l’ « à temps » et du « contretemps », dialectique que nous empruntons au grand saint Paul.

Puisse son intelligence évangélisatrice et sa charité nous servir de guide.

Sébastien RENAULT <[email protected]>