L'héritage oublié des scolastiques

Publié le 11/03/2021

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L’héritage oublié des scolastiques : pensée et désignation avant l’essor de la logique post-aristotélicienne

Par Sébastien Renault

 

 

 

Abrégé. C’est aux grands penseurs du Moyen Âge et à leur mise en œuvre d’une théorie sémantique différenciée en modes de référence catégorématiques et syncatégorématiques que nous devons l’essor premier de moyens et de techniques logiques plus approfondies et originales. Cependant, dans une large mesure, la tendance historique à minimiser l’héritage analytique de la philosophie médiévale doit être liée au fait épistémologique que la logique scolastique accepte un certain nombre de principes objectifs premiers et en cela irréductibles à la structure purement linguistique de la pensée. C’est sur la base de ces premiers principes que la logique médiévale se préoccupe d’abord de l’analyse de la validité des arguments relatifs à l’objet ultime, théologique, de sa réflexion.

Extrait (p. 26-28 sur 34):  

[...] L’horizon de la rationalité contemporaine ne se distingue quasiment plus de celui de sa propre conscience phénoménale immédiate, domaine de l’expérience sans recul et des émotions revendicatrices. C’est donc « le vécu » qui fait force de loi :

« Je sens, donc c’est vrai ! »

Maxime d’autoréférence anticartésienne par excellence, parce qu’enracinée au plus profond de la psyché contemporaine de la victimisation militante. Dans notre cadre culturel métropolitain, cadre dans une large mesure virtuel et défini par la nature transnationale des médias sociaux, la maximisation paradoxale des identités tribales représente une arme inestimable de contrôle mental entre les mains des lobbies politiques et des ingénieurs de tendances socio-culturelles bien ciblées.  

En conséquence, il est désormais presque impossible d’adopter une attitude « supra-tribale » face aux problèmes sociétaux, judiciaires, voire même scientifiques de notre âge à fleur de peau subjectiviste. L’ingénierie sociale et la décadence éducative occupent une telle place subreptice dans la vie des esprits, que nous nous retrouvons (une grande majorité du moins) dépourvus des outils intellectuels nécessaires pour s’extirper de manière adulte de la tyrannie des émotions. Parallèlement à l’éducation, la culture politico-médiatique unilatérale de la revendication autocentrée encourage les gens à ne pas remettre en question leurs propres réactions émotionnelles au profit d’arguments raisonnés, sans insultes, guidés par la logique et le respect des données extra-subjectives du monde. Au lieu de cultiver, comme le faisaient les grands penseurs de l’ère scolastique, l’exercice de la rationalité méthodique au service de la connaissance du monde (philosophie naturelle et spéculative) et de l’expression des données objectives de la foi (théologie), notre culture hyper-narcissique et moralement faiblarde privilégie l’exercice antithétique de l’irrationalité méthodique au service de l’idéologie tribale (raciale et de genre) et de la superstition néopaïenne (culte de l’environnement, spiritisme, satanisme hollywoodien). La défense systématique des sentiments et la dépréciation infantile de la réalité objective sont deux caractéristiques connexes de cette culture anti-médiévale de déclin mondialisé.

Primauté réactive des émotions, tribalisation, infantilisation, et dès lors contrôle universel par la tyrannie du subjectivisme : tels sont les principaux mécanismes de la dérationalisation méthodique de l’homme contemporain. Nul n’est autorisé à remettre en question les sentiments de groupes ou d’individus dans la mesure où la subjectivité l’emporte sur l’objectivité et où la sensibilité tribale se voit accorder le « droit » de se départir de la réalité. Un tel primat subjectif ne fait nécessairement plus qu’un avec l’avènement d’une ère de la tyrannie sentimentale érigée sur les principes contradictoirement « absolus » du relativisme institutionnel (« maçonnique »).

Pour terminer, revenons brièvement, avec Gödel, sur l’essence de la faillite logique de ce relativisme omniprésent. Le ressort métaphysique de sa démolition logique aurait, à juste titre, séduit les grands penseurs de l’ère scolastique...

Depuis Euclide, le Graal des logiciens réside dans l’atteinte de la certitude maximisée, que la connaissance mathématique est censée incarner. Mais cette vision de la certitude et de la connaissance mathématique comme son expression la plus achevée soulève, du même coup, la question suivante : quelle est la source de la certitude mathématique ? Question épistémologique de fond qui entrevoit que les preuves mathématiques doivent elles-mêmes reposer sur quelque fondement irréductible à leur démonstration.

On pourrait se poser la même question d’ordre fondamental en regard du domaine éthique de la loi dite naturelle et de l’universalité certaine de ses préceptes. Quelle en est finalement la source ? Les preuves mathématiques, comme les préceptes éthiques de la loi naturelle, doivent trouver leur origine en quelque fondement irréductible aux domaines respectivement mathématique et éthique de la démonstration et de la déontologie. Tout comme dans le domaine des connaissances empiriques construites par l’entremise de la perception sensorielle, il doit y avoir en mathématiques et en éthique une base respectivement donnée à la raison pure et à la raison pratique.

C’est ici que l’idée d’un « système axiomatique », au sens non formel du terme, se fait jour d’abord dans la conscience épistémologique antique d’inspiration logique, paradoxe irréductible à la clé ! Dans un système axiomatique, on commence sur la base de quelques axiomes, de postulats intuitivement évidents ; puis l’on procède à la démonstration de ce qui en découle (les théorèmes). Mais comment commencer à dériver logiquement quoique ce soit sans disposer déjà, comme par intuition irréductible (on pourrait également dire innée), de la logique ? Autrement dit, le point de départ axiomatique de la pensée claire, comme celui de l’agir juste, ne se découvre à la conscience logique émergeante (au gré des démonstrations) que sur fond originel… de logique ! [...]

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