Publié le 09/05/2021
Sébastien Renault
Notre amie MP nous fait part de ses réflexions dans ce qui suit [1] :
« Personnellement, j’aime beaucoup insister sur la notion égyptienne de la trinité et de la structure familiale. Je m’explique : les Égyptiens ont eu le génie de centrer leur sens de la vie sur le schéma de la pyramide, qui est une merveilleuse combinaison du nombre 3 et du nombre 4 (la base et le nombre des côtés). La tradition africaine insiste sur ce qui doit être la « trinité » fondatrice de toute société humaine : l’indissociable unité de la trinité Père-Mère-Enfant, si souvent représentée par les anciens Égyptiens d’ailleurs. C’est très important, me semble-t-il, de mettre en avant cette assise solide fondamentale de la pensée africaine. Car elle constitue une réfutation philosophique et religieuse originelle et universelle du grand n’importe quoi de la reproduction artificielle et de la marchandisation de la vie humaine.
Par ailleurs, l’Amérique préhispanique a basé elle aussi son sens de la vie sur la pyramide, qui n’est que la mise en arithmétique de la poussée des volcans, si présents comme épine dorsale du continent, au demeurant. On a d’ailleurs découvert aussi des structures pyramidales archi-préhistoriques en Bosnie (voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Pyramides_de_Bosnie), ainsi qu’en Chine (https://fr.wikipedia.org/wiki/Pyramides_chinoises). L'Europe spirituelle aussi, bien sûr, a su sacraliser la merveilleuse créativité de la combinaison 3+4, on en reparlera.
Toutes ces coïncidences, qui n’en sont pas, sont profondément révélatrices de ce qui, dans la divinité, est accessible à l’homme, non ? Est-ce que tout cela t’impressionne autant que moi ? »
Nous donnons la réponse suivante, intentionnellement synthétique pour respecter le format condensé et dialogique de ces « éléments pour un vrai dialogue »:
On ne peut pas insinuer, sans trahir la réalité tant historique que doctrinale, que la conception chrétienne de la Trinité et celle de la Sainte famille seraient « égyptiennes » (ou hébraïques, ou grecques, ou quoique ce soit). Tout cela est révélé à l’intelligence de l’homme, dans le cadre surnaturel d’une religion certes incarnée (puisqu’elle est précisément la religion de l’Incarnation du Verbe), mais non moins trans-ethnique – dans son origine (divine) comme dans la compréhensibilité universelle (apostolique) de son message de salut.
Rien ne ressemble, à strictement parler, au dogme de la foi chrétienne en la Très Sainte Trinité, qui certifie le mystère intelligible de la pluralité en Dieu, sans y induire d’addition ni de multiplication. La pluralité intra-divine, précisément trinitaire, n’obéit pas à l’arithmétique additionnelle ou multiplicative propre à l’ordre de la création. Il a en Dieu une pluralité relationnelle réelle, mais qui n’implique aucune composition, ni donc le moindre accroissement ou décroissement de ce qui est à la fois éminemment simple et trinitaire. Ainsi la véritable divinité, quoique trinitaire, ne se multiplie pas pour subsister en plusieurs suppôts relatifs. Les hérésies unitaristes et tri-théistes tombent dans le même panneau...
Mais revenons sur ce rapport du trois et du quatre, si puissamment mis en lumière par la révélation biblique. D’après cette révélation (Gn 1, 1-2), la structure ontologique du monde créé subsiste en obéissant à une différentiation structurelle distincte et fondamentale d’ordre quaternaire. En tant que telle, elle manifeste logiquement sa source trine auto-subsistante.
La nature de l’homme, selon la révélation biblique, manifeste cette même source de manière éminente (cf. Gn 1, 26-27), tout en obéissant elle aussi à une différentiation structurelle d’ordre quaternaire (cf. Gn 1, 27 et 2, 21-24 ; 1 Co 11, 3-12).
Au sommet de cette révélation, qui est aussi un abaissement incomparable (cf. Phi 2, 7), le Verbe éternel revêt la forme de l’homme ainsi constitué en une totalité proprement différenciée et unit, sans confusion, à la divinité. Union hypostatique qui caractérise le vrai Messie, vrai homme et vrai Dieu, comme l’annonçaient les prophéties, plus éminemment celles des prophètes Michée (5, 1) et Daniel (7, 13-14 -> cf. Mt 24, 30 et 26, 64) :
« […] de toi [מִמְּךָ, à savoir Bethléhem, la ville davidique] sortira pour moi Celui qui dominera [מוֹשֵׁל] sur Israël ; et dont l’origine/la sortie remonte aux temps anciens, aux jours de l’éternité [מִימֵי עוֹלָם]. »
Dans cette prophétie, Michée atteste clairement que l’origine du Messie davidique (vrai homme) est de nature éternelle (vrai Dieu).
« Je visionnai [חָזֵה], et voici, avec les nuées des cieux arriva comme [כְּ] un Fils de l’homme [בַר אֱנָשׁ] […] On lui donna la domination, la gloire et le règne ; et tous les peuples, les nations, et [les hommes de toutes] langues le servent. Sa domination est une domination éternelle qui ne passera pas, et son règne ne sera jamais détruit. »
Ici, le Fils de l’homme est annoncé comme une figure qui ne saurait se réduire à la seule humanité d’un « fils d’homme », car 1) Il est investi d’une autorité/domination éternelle (en cela indestructible) qu’Il exerce sur le monde entier (cf. Mt 28, 18) ; et 2) tous les peuples et toutes les nations le servent, comme seule la divinité est digne de l’être…
Retournons à la structure différenciée de la nature humaine, celle qu’assume le véritable Messie, d’origine divine. À titre d’illustration, considérons la crèche de Noël, en ce qu’elle met en scène une dynamique irréductiblement « quaternaire ». Dieu fait homme, en son admirable Nativité, y est la figure centrale, la Tête divine d’une humanité proprement différentiée selon un modèle tétra-structurel fondamental de catégories anthropologiques irréductibles et mutuellement nécessaires les unes aux autres.
La naissance du Messie d’Israël est également marquée par son Épiphanie en tant que seul et véritable grand prêtre. L’accomplissement de la fonction du grand sacerdoce, prophétisée de multiples manières avant l’avènement du Messie, implique qu’il soit à la fois Dieu en Lui-même et pleinement homme, en vue d’accomplir vraiment le sacrifice d’expiation (Rom 3, 25). Seule la figure théandrique du Principe réparateur de l’humanité pouvait donc réellement assumer, pour en accomplir toutes les figurations prophétiques, la fonction de grand prêtre. Mais il ne peut y avoir de grand sacerdoce sans sacerdoce, pas plus qu’il ne peut y avoir de sacerdoce proprement dit sans que se réalise en fin de compte l’identification de la victime, de l’autel et du sacrificateur dans le grand prêtre véritable et ultime. L’Évangile stipule explicitement que les mages (araméen מגושא, qui donne le terme grec μάγοι ; en hébreu חכמים, « hommes de science/sagesse »), guidés de l’Orient par l’étoile messianique, sont « venus l’adorer » (Mt 2, 2). En tant que tels, les mages signifient et assument la fonction sacerdotale, offrant des dons sacerdotaux ordonnés à l’adoration appropriée du Roi divin et vraie Victime du salut, à savoir « l’or, l’encens et la myrrhe » (Mt 2, 11). Mais il ne peut y avoir de grand sacerdoce, ni de sacerdoce, sans leurs fonctions anthropologiques analogiquement corrélatives de masculinité (אִישׁ) et de féminité (אִשָּׁה), toutes deux assumées et pleinement manifestées par les parents du grand prêtre messianique, saint Joseph et la Bienheureuse Vierge Marie. La scène épiphanique nous offre ainsi l’expression tétra-structurelle tranquille mais puissante de ce qu’est la véritable humanité – l’homme selon l’exemplaire éternel du Nouvel Adam, qui est Dieu incarné :
D’où les limites de l’idée « trinitaire » associée à l’héritage égyptien, et donc à la structure pyramidale fondamentale, aussi cruciale soit-elle à d’autres égards. Repensée en termes de phénoménologie co-relationnelle humaine, l’unité accidentelle du triangle Père-Mère-Enfant (ou Horus, Isis, Osiris) représente un groupement composé de parties, les personnes de cette triade créée s’ajoutant entre elles pour former un tout plus grand (la famille).
Il faut penser la véritable Trinité révélée en passant par le langage et la logique de la révélation mosaïque, qui précisément consiste à sortir d’Égypte. Or, pour atteindre au trinitaire dans l’ordre de la sortie de l’esclavage prototypique égyptien (יציאת מצרים), il faut passer par le quaternaire de la révélation du Nom divin précisément tétra-grammatique, יהוה (YHWH). Car la « quadrité » triadique de ce Nom admirable pourvoit la clé hiéroglyphique à la fois cachée et révélée de ce qu’il faut concevoir, en Dieu, comme une pluralité réelle sans multiplication (sans nombre). Si l’on entrouvre simplement la porte du Mystère se révélant ainsi à notre intelligence, on trouve aussitôt la réponse à la méprise anthropomorphique musulmane concernant le dogme chrétien de la Sainte Trinité, laquelle conçoit la pluralité des Personnes divines énoncée par ce dogme sous le mode composé d’une addition d’unités. Erreur des plus contraires à l’intelligence de la foi en la consubstantialité des trois Hypostases ou Personnes de l’unique Déité, puisque la pluralité intra-divine qu’affirme irréductiblement le dogme trinitaire ne peut faire nombre avec la simplicité absolue de l’essence divine. Une telle simplicité échappe donc, par définition, au mode additionnel de la composition. La doctrine trinitaire est ainsi comme entièrement contenue, de manière implicite mais tout-à-fait intelligible et pictogrammatique, en cette signature sacrée tétra-grammatique, יהוה (à savoir trois consonnes, י-ה-ו/Y-H-W, lesquelles constituent un Tétragramme sacré, ou Nom à quatre lettres, י-ה-ו-ה/Y-H-W-H). Le domaine phénoménologique de la pluralité multiplicative humaine du modèle égyptien ou islamique ne peut ici qu’induire en erreur. À contrario, la logique fournit un outil fondamental et irréductible au domaine composé des réalités créées triadiques. À la grâce surnaturelle de la foi faisant participer à la connaissance que Dieu a de Lui-même et de toutes choses s’unit la raison que présuppose la première (la foi). Foi et raison s’harmonisent et s’embrassent éminemment en religion chrétienne authentique (le catholicisme), et la logique leur est commune.
La distinction trinitaire en Dieu n’implique donc aucune composition de parties, comme le serait un tout différentié. L’essence divine se trouve tout entière en chaque Hypostase ou Personne sans se diviser, ni se multiplier. Il n’y a ainsi pas plus de divinité en trois Personnes qu’en une seule Personne. Étant Sa propre origine, la véritable divinité subsiste donc en elle-même et par elle-même, se communiquant entièrement et simplement dans la distinction relative selon l’origine intra-divine, sans s’anéantir jamais. D’où la pluralité réelle en Dieu, mais l’absence stricte de multiplicité.
Ce que l’on peut résumer comme suit, sans entrer plus avant dans les arcanes théo-logiques de la doctrine trinitaire catholique en tant que telle. Des quatre relations divines ad intra, seules trois se tiennent en relation d’opposition l’une à l’autre et sont, par conséquent, réellement distinctes, à savoir : la Paternité (Y), la Filiation (W), et la Spiration passive (H_1) ou Saint-Esprit. La Spiration active (H_0) se tient en opposition exclusive à la Spiration passive et n’entretient donc aucune opposition relative à la Paternité et à la Filiation, étant identique à celles-ci. C’est dire si H_0 = Y et W ! Il y a donc trois relations réellement distinctes en Dieu, Y, W et H_1, lesquelles constituent les trois Personnes divines coéternelles et coessentielles dans une dynamique quadri-relationnelle indivise : Y- H_0-W-H_1 -> Y-H-W-H
Tel est le Dieu Unique, dans la Trinité d’une seule substance.
[1] Cet article est le troisième d'une série de réflexions composées et regroupées par Sébastien Renault sous l'intitulé ÉLÉMENTS POUR UN VRAI DIALOGUE, série destinée à constituer la première partie d'un ouvrage monumental intitulé À TEMPS ET À CONTRETEMPS, dont le site Entre la Plume et l'enclume a déjà publié une série de chapitres constituant la deuxième partie.
L'auteur s'explique :
Les extraits choisis et compris dans cette première partie sont tirés de notre correspondance avec différents interlocuteurs et auteurs, français pour la plupart. Ils constituent comme une mosaïque d’essais miniatures et d’éléments pour un dialogue. Nous les publions donc ici un peu comme on jetterait une bouteille à la mer, d’abord pour la voir flotter joyeusement, puis débouchée, voire même, peut-être, « déchiffrée » avec curiosité...
Comme le verra le lecteur intéressé, nous présentons une panoplie thématique visant à situer, dans la pluralité disciplinaire qui nous occupe le plus souvent, l’unité d’une réflexion qui se construit au jour le jour, selon la dialectique de l’ « à temps » et du « contretemps », dialectique que nous empruntons au grand saint Paul.
Puisse son intelligence évangélisatrice et sa charité nous servir de guide.