Publié le 13/07/2018
par Maria Poumier
L'Irlande refuse de commercer avec l'occupant de la Cisjourdanie:Israël ferme l'ambassade irlandaise. Le président Macron est sous pression, de la part des ONG pro palestiniennes: . Et une nouvelle flotille de la liberté tente de désenclaver Gaza: la riposte israélienne est très généralement désavouée. Dans ce contexte, la mobilisation pour le droit au retour qui a eu lieu début mai, pour la commémoration de la Nakba, prend un sens qui va bien au-delà d'une opération politicienne de la part du Hamas à Gaza.
L'immigration massive, arme de destruction des peuples
Il y a 70 ans, Tsahal proclamait unilatéralement la création de l’État d’Israël, doublant ainsi les efforts des Nations unies pour un partage équitable de la Palestine géographique. Simultanément, des unités spéciales de Tsahal, dont l’une commandée par Ariel Sharon, expulsaient massivement les Arabes de ce territoire. Après quoi, une invasion migratoire se mettait en marche, accueillie par une population juive installée depuis des siècles, et qui vivait en bonne entente avec les autochtones.
La crise migratoire européenne nous rappelle que les immigrations massives sont une arme de destruction des nations. Depuis l’arrivée des Européens en Amérique, elles ont été systématiques, parvenant à démembrer, déposséder et marginaliser les peuples autochtones qui avaient des structures politiques stables et fonctionnelles, qu’il s’agisse de villages, de cités Etats, d’empires, une population correspondant aux ressources locales, et un commerce actif qui reliait parfaitement le continent du Nord au Sud. Tout cela s’est trouvé balayé en deux siècles, les autochtones ont été décimés, froidement exterminés en masse et les survivants marginalisés, ainsi que leurs descendants. Les vagues migratoires se sont superposées, les plus anciennes se considérant comme les autochtones, menacées par les plus récentes. La dernière vague migratoire en provenance d’Europe a été celle des juifs, à partir des années 1930, les destinations préférées des juifs ashkénazes étant New York et Buenos Aires, dont ils ont fait des bases économiques et politiques pour leur communauté, mais sans oser proclamer jusqu’à aujourd’hui l’indépendance. L’immigration massive juive en Palestine n’a pas réussi à faire disparaître le peuple. Mais les Palestiniens peuvent-ils encore croire qu’ils auront un jour leur propre Etat ?
Le temps ayant passé, les actuels citoyens d’Israël ne sont plus les fanatiques qui massacrèrent et expulsèrent les Arabes, mais leurs petits-enfants. Sauf à revenir au concept tribal de responsabilité héréditaire, les Israéliens actuels ne sont pas comptables des crimes de leurs grands-parents.
À titre individuel, les Arabes palestiniens et leurs descendants sont en droit de revendiquer la restitution de leur terre ; un droit que la communauté internationale a reconnu comme « inaliénable » ; c’est-à-dire comme ne pouvant pas être cédé. Mais comme pour leurs bourreaux sionistes, les survivants arabes de la Nakba (catastrophe) sont aujourd’hui peu nombreux.
Le droit international donne entièrement raison aux seules victimes arabes. Mais le « droit au retour » est une expression ambiguë qui donne à penser — à tort — que les Arabes pourraient revenir physiquement à leur situation antérieure à la Nakba qui les a frappés. Ainsi, les maisons ayant souvent été reconstruites et étant habitées aujourd’hui par des personnes qui s’y trouvent de bonne foi, ce droit ne pourra généralement être appliqué que sous forme de compensation financière payée par l’État d’Israël (plus exactement sans doute par le contribuable américain et européen).
Au demeurant, si les victimes arabes demandent à pouvoir circuler librement dans toute la Palestine, elles ont toutes refait leur vie sur d’autres terres qu’elles ne souhaitent pas forcément quitter.
Durant les 70 ans de ce conflit, l’État d’Israël n’a jamais tenté spontanément de réparer ses forfaits originels. Au contraire, il n’a cessé de violer les résolutions des Nations unies et de s’étendre, maison par maison. Il a internationalisé le conflit, d’abord en refoulant des Arabes vers les pays voisins, puis en envahissant et en occupant le Sinaï égyptien, le Golan syrien et le sud du Liban. Dans les faits, il a bénéficié de la complaisance des grandes puissances qui ont accepté la multiplication de ces crimes.
Par ailleurs, aux crimes commis par les sionistes et au silence de leurs alliés, des organisations palestiniennes ont ajouté des torts envers des États qui les ont soutenues. De la tentative de prise du pouvoir en Jordanie, en septembre 70, à celle pour s’approprier le Liban, sans oublier le projet de coup d’État en Tunisie, autant d’erreurs. Cette longue errance et ces multiples tentatives de s’établir sur de nouvelles terres ont porté atteinte à la justesse de la cause : peut-on légitimement revendiquer à la fois la terre de ses ancêtres et tenter de conquérir celle de ses alliés ?
Jamais les Palestiniens ne sont parvenus à se faire représenter par un leader ou une organisation unique. Par exemple, même si, à l’époque de Yasser Arafat, l’OLP était pluraliste, la monarchie hachémite s’est toujours affirmée comme chef historique des Palestiniens. La Jordanie se considère toujours comme « gardienne » des lieux saints du christianisme à Jérusalem (titre reconnu par le Vatican en 2000) et « protectrice » des lieux saints musulmans de la ville sainte.
Désormais, bien que les torts ne soient pas partagés, chaque camp a nui à d’autres. Aucune solution ne saurait être mise en œuvre au seul détriment des juifs et des arabes sionistes. Il faudra donc que tous les protagonistes acceptent de faire des concessions quels que soient leurs droits légitimes.
La seule tentative sérieuse de règlement du conflit a eu lieu en 1991. À l’époque, l’Union soviétique s’effondrait et les États-Unis croyaient pouvoir prendre le leadership global. Les présidents George H. Bush Sr. et Mikhaïl Gorbatchev convoquèrent ensemble la conférence de Madrid. Tous les protagonistes, sans exception, se retrouvèrent autour de la table : Israël, les Palestiniens (mais pas en tant qu’OLP), l’Égypte, la Jordanie, le Liban et la Syrie. Le cadre d’un accord global fut dessiné et une série de réunions thématiques ultérieures furent programmées. Ce processus fut saboté non par l’État d’Israël, mais par le Likoud, héritier de David Ben Gourion. Ce parti organisa aux États-Unis une campagne contre le secrétaire d’État James Baker et c’est lui qui parvint à faire échouer la réélection du président Bush père.
Aujourd’hui, il faut bien reconnaître que le monde se désintéresse de la question israélo-arabe. En 1972, des kamikazes japonais, membres de la Brigade internationale anti-impérialiste, donnaient leur vie pour sauver les Palestiniens, montrant paradoxalement que les fedayin (littéralement : « ceux qui se sacrifient ») usurpaient leur titre. Des révolutionnaires de toute nationalité, autour du Vénézuélien ilich Ramirez "Carlos", parvenaient à causer des torts considérables au régime sioniste. Un tel exemple est désormais impossible, tant en raison de l’évolution au niveau de la rhétorique, que de la motivation générale : les Palestiniens voudraient avant tout accéder pleinement à la prospérité israélienne, en humains reconnus égaux.
Jusqu’à l’assassinat de Yasser Arafat, en 2004, le monde s’accordait à analyser le conflit israélo-arabe en termes politiques de domination coloniale. La déclaration unilatérale d’indépendance de Tsahal était comparable à la création du régime raciste de Rhodésie. Il s’agissait donc de poursuivre en Palestine le mouvement mondial de décolonisation et de parvenir à mettre fin à un régime d’apartheid.
Contestant cette lecture, l’État d’Israël et le Royaume-Uni favorisèrent le développement du Hamas et le triomphe de son discours. Loin de dénoncer la colonisation de la Palestine, cheik Ahmed Yassine, s’appuyant sur des Hadits, remit en cause la gouvernance juive d’une terre musulmane. Il substitua une rhétorique religieuse à une revendication politique. Ce faisant, il écarta les non-musulmans du conflit. Cette remarque est autant valable pour les Arabes palestiniens chrétiens que pour le reste du monde, autant pour le FPLP de Georges Habache que pour ses « camarades » japonais.
Il s’agit là d’une pratique très particulière de l’islam politique. Alors que l’imam Khomeini appelait tous les croyants à suivre les exemples d’Ali et d’Hussein, et à trouver dans leur foi la force de lutter pour la Justice, les Frères musulmans tentent d’imposer à tous leur vision d’une société musulmane. L’ayatollah Khomeini était un mystique qui a libéré son pays de la domination impériale anglo-saxonne, mais malheureusement les dirigeants du Hamas manipulent la religion pour parvenir à leurs objectifs politiques, sans vision claire des forces en présence, et de la manipulation dont ils sont la proie facile.
Et pourtant, en toute générosité, malgré le fait que la République islamique d’Iran et les Frères musulmans n’ont pas la même conception de l’islam politique, la première soutient les seconds. Cet engagement n’est pas sans épines, comme on l’a vu en Syrie où Téhéran encadre l’armée arabe syrienne tandis que les Frères la combattent. Il n’est pas non plus sans danger comme on l’a vu au camp de Yarmouk où les hommes du Hamas encadrés par des officiers israéliens ont tenté d’assassiner les responsables des autres factions palestiniennes, notamment du FPLP.
Élu par ses concitoyens pour renverser le système de domination créé par ses prédécesseurs et institutionnalisé par la classe politique US, le président Donald Trump avait conçu un plan de règlement pour le conflit israélo-arabe. Pour l’élaborer, il s’est appuyé sur son conseiller spécial et néanmoins gendre, Jared Kushner. Celui-ci étant juif, certains protagonistes l’ont récusé, l’accusant d’être partial en faveur d’Israël, ce qui n’est guère discutable.
Pour autant que l’on sache, ce plan est beaucoup moins ambitieux que celui du président Bush père, dans la mesure où il ne semble pas annuler l’engagement pris par le président Bush fils de reconnaissance des annexions israéliennes d’après la guerre de 1967. Il semble néanmoins plus directif puisqu’il vise à traiter l’ensemble du problème, non pas en réunissant tous les protagonistes autour d’une même table, mais en s’engageant simultanément avec eux. Bien que la Russie n’ait pas été associée à son élaboration, elle en a été informée. En effet, Trump ne saurait ignorer que plus d’1 million d’Israéliens sont d’anciens citoyens soviétiques, et que Moscou a donc des intérêts à protéger en Palestine-Israël. Enfin, Trump, se situant dans le sillage du président US Andrew Jackson, hérite de sa conception des relations entre les colons blancs et les autochtones : l’expansion par l’extermination, puis, une fois la résistance très affaiblie, après des négociations séparées avec chaque tribu, le confinement dans des « réserves » ; enfin, étape ultime, la dissolution inoffensive dans les populations locales, définitivement implantées et consolidées, avec une rhétorique sur le mode de l’hommage.
Mais Trump est conscient du fait que l’expansion israélienne se fait au détriment de la paix. Aussi veut-il y mettre un terme. Et son action se fonde apparemment sur la conviction que pour empêcher définitivement le grignotage quotidien de territoire arabe par Israël, il faut admettre les injustices déjà commises. Ce point de vue pragmatique va à l’encontre de la pensée d’une partie de la Résistance pour qui, à terme, les colons juifs devront quitter la Palestine qu’ils occupent, comme les colons français ont été chassés d’Algérie.
L’idée principale est de renoncer à créer un État binational, comme prévu par le plan de partage de 1948, et de privilégier une solution à deux États, tout en offrant de vastes compensations financières pour les préjudices subis. Une Nouvelle Jordanie élargie aux Territoires palestiniens serait reconnue comme État des Palestiniens. Ce scénario emprunte beaucoup à celui qui avait été imaginé par l’ambassadeur Charles Freeman, il y a plus d’une décennie[1].
On se souvient que jusqu’à la guerre de 1967, la Cisjordanie était administrée par la Jordanie. Environ la moitié des Palestiniens du Levant vivent aujourd’hui en Jordanie où ils constituent 80 % de la population, tandis que l’autre moitié vit en Cisjordanie et à Gaza. Certains vivent en Israël, au Liban et en Syrie. Des millions d’autres ont quitté la région et se sont dispersés.
La capitale de la Nouvelle Jordanie serait à Jérusalem. Non pas dans la moitié de la ville comme réclamé aujourd’hui par l’Autorité palestinienne, mais dans le minuscule quartier d’Abous Dis. Telle est l’idée de Trump.
Cette solution peut paraître choquante. Et pourtant, elle n’a pas été imaginée hier par Jared Kushner, mais lors des négociations d’Oslo, par le second de Yasser Arafat, Mahmoud Abbas, actuel président de l’Autorité palestinienne, qui s’exprime pourtant avec fureur contre ce projet vivement impulsé par l’Arabie saoudite. D’ailleurs, à l’époque, l’Autorité palestinienne y débuta la construction de ce qui aurait pu devenir son futur Parlement, avec des travaux qui furent par la suite interrompus.
Quoi que l’on pense des grandes lignes du plan Trump, il semble viser à sortir pour de bon de 70 ans de crise, à tourner définitivement une page d’histoire. À titre personnel, chaque Palestinien pourrait l’accepter ou le refuser, mais ceux qui le refuseraient devraient poursuivre leur combat avec un espoir de type messianique, à l’horizon de plusieurs générations.
Or ce plan heurte en premier lieu, non pas les Palestiniens, mais à la fois les sionistes et la monarchie hachémite. Les sionistes perdraient la possibilité d’étendre un peu plus leur territoire chaque jour puisque des frontières seraient enfin fixées. C’en serait fini du rêve d’un pays allant du Nil à l’Euphrate, tel que figuré sur le drapeau israélien et les pièces de 10 Agorot, et développé dans le célèbre « plan Yinon » de 1982. On a du mal à imaginer que l’entité sioniste accepte de bonne foi de devenir un Etat normal, acceptant le droit international et ses contraintes. Quant au roi Abdallah II, il deviendrait le fossoyeur du rêve d’un monde arabe uni et libre, trahissant ainsi l’espoir soulevé par son arrière-arrière-grand-père, le chérif Hussein.
En second lieu, ce plan ne devrait être accepté par l’Égypte, le Liban et la Syrie que sous certaines conditions. Il conviendrait notamment de « rapatrier » en Nouvelle Jordanie et d’indemniser les réfugiés palestiniens. Et bien entendu de régler également la question du Golan et des fermes de Chebba libanaises, seules régions de ces trois États encore occupées par Israël.
Troisièmement, ce plan ne sera accepté par toutes les factions palestiniennes que si toutes les puissances régionales mettent leur poids dans la balance. Il suffirait que l’un des protagonistes s’estime lésé par le plan US pour que celui-ci échoue et que la guerre reparte.
Bien que personne ne l’admette, la paix, si elle devait être conclue, imposerait une gigantesque réorganisation des forces en présence. Chaque protagoniste devrait s’adapter à la nouvelle situation, ce que Trump n’obtiendrait que par des menaces aussi précises que dramatiques.
Par exemple, le Hezbollah ne pourrait pas poursuivre son combat pour les Palestiniens, faute d’avoir personne à soutenir. De nombreux soldats israéliens et combattants palestiniens refuseront de revenir à la vie civile. Nombre d’entre eux se transformeront en mercenaires n’importe où dans le monde pour vendre leur « savoir-faire ».
Si le peuple palestinien venait à utiliser l’argent des indemnités pour son développement économique sans encombre, le peuple israélien traverserait une profonde crise d’identité. Privé d’ennemi, il ne trouverait plus de justification à son organisation en ghetto emmuré selon le modèle talmudique. Il devrait donc choisir entre un modèle sectaire impliquant l’expulsion de ses citoyens arabes et un modèle enfin égalitaire, sous cotutelle russo-américaine.
Reste la question de la Bande de Gaza, qui ne saurait rester durablement une enclave de deux millions de personnes emmurées par Israël. Tôt ou tard, Israël, dans sa logique de scorpion, exigera de se l’approprier définitivement. Il lui sera facile d’organiser quelque sanglant attentat sous faux-drapeau à Tel Aviv (ou un lâché de missiles depuis Gaza), de l’imputer au Hamas, et d’enclencher représailles, massacres, expulsions et déportations de masse. Ce pourrait être une seconde Nakba. Sauf que cette fois-ci, la Nouvelle Jordanie serait un Etat reconnu et qu’attaquer ses ressortissants serait une très grave violation du droit international impliquant une intervention armée internationale.
Si les parties en présence veulent vraiment la paix, elles devront bloquer l’engrenage et forcer l’entente en vue d’un seul Etat pour tous ses habitants, avec des droits égaux, sans attendre, sur toute la Palestine. Il sera bien difficile d’éviter de nouveaux carnages de Palestiniens, parfaitement prévisibles. Mais désormais, le retour du boomerang pour les juifs se rapproche : l’impunité israélienne recevra, avec son dernier défi au droit international, un coup d’arrêt définitif, faute de soutien occidental. Alors ce seront les Israéliens qui demanderont à exercer leur « droit au retour » : celui de repartir, avec un statut de réfugiés, dans les pays européens de leurs parents ou grands-parents, ou aux US. Et ceux qui resteront pourront enfin construire, avec les autochtones, un seul Etat démocratique pour tous, un Etat normal.
[1] Pour un résumé des positions des différents Etats concernés, et l’évolution des projets depuis2014, voir l’état de la question sous le gouvernement Obama ici : http://www.voltairenet.org/article182037.html;