Quelle loi, selon saint Paul, et quels enjeux

Publié le 19/05/2022

  • Quelle loi, selon saint Paul, et quels enjeux

[Ce qu’il faut réellement comprendre, c’est que la vraie pensée hébraïque chez Moïse, qui était égyptien et inspiré par Dieu, n’est pas juive. Elle a été réinterprétée d’une manière caricaturale par les pharisiens et les promoteurs de la pensée talmudiste, trahissant au passage la grande culture religieuse davidique, qui relève elle aussi de l’inspiration de Moïse, et qui annonçait à sa façon la Pentecôte et la naissance de l’unique Église. Et c’est tout cela qui est en jeu, de manière certes assez subtile, derrière les nuances spécifiques de l’emploi paulinien du terme « loi » à travers tout son corpus, notamment en Ep 2, 15.]

Par Sébastien Renault

La désorientation cachée dans les lectionnaires de la nouvelle messe : la loi, mais quelle loi en Éphésiens 2, 15 ? 

Nous avons besoin d’une critique du lectionnaire dominical et quotidien de la nouvelle « messe » dite de Paul VI en langues vernaculaires (1970 et éditions postérieures) et de son usage détourné (à 180 degrés) du terme et de l’idée de « loi » (ne considérant ici, spécifiquement, que son occurrence dans un certain passage de l’Épître de saint Paul aux Éphésiens). Le contresens est désastreux et se manifeste nettement lorsqu’on y regarde d’un peu plus près dans différentes langues liturgiques vernaculaires à la lumière des textes araméen, grec, et latin.

Plus qu’un problème de traductions notoirement défectueuses, il semble que les versions vernacularisées en 1970 de l’Ordo Lectionum Missae de 1969 [1] aient été soigneusement mises en forme pour transmettre les principales inexactitudes théologiques qui se cachent sous le manteau lissant des langues modernes. Parmi les trop nombreux exemples de déformations que l’on rencontre en examinant les lectures quotidiennes de la nouvelle messe traduites en langue vernaculaire à partir du lectionnaire susmentionné, nous voudrions attirer l’attention sur le cas du passage suivant, tiré de l’Épître de saint Paul aux Éphésiens (2,14-15), selon la version liturgique francophone en vigueur [2] :

« […] par sa chair crucifiée, il a fait tomber ce qui les séparait, le mur de la haine, en supprimant les prescriptions juridiques de la loi de Moïse. » [3]

Les traductions liturgiques postérieures à 1969 ont instauré une perception qui inverse en partie le cours logique du sens des versions originales araméenne, grecque et latine, en semblant identifier ici « prescriptions juridiques » et « loi de Moïse » ; en sorte que la perception qui en ressort presque naturellement, au bout du compte, est que le Christ a Lui-même supprimé la « loi de Moïse ». Ce qui introduirait une contradiction somme toute assez brutale par rapport à ce que le Christ enseigne explicitement (Mt 5, 17) :

« Ne pensez pas que Je sois venu délier [דאשרא] la Torah et les Prophètes. Je ne suis pas venu délier [la Torah et les Prophètes], mais les réaliser [דאמלא, πληρωσαι]. »

Il importe de souligner le fait capital que Jésus parle bien ici de réalisation, ou encore d’accomplissement. Chose cruciale qui indique que, Dieu de Dieu, Il a effectivement le pouvoir et l’autorité de réaliser et en cela certes de dépasser l’ordre ancien (plutôt que de le « délier », au sens de l’abolir, comme s’il n’avait jamais existé). Ce dépassement implique, spécifiquement, que les rituels de l’Ancienne Loi de l’Ancien Testament doivent s’effacer devant leur aboutissement en Lui ; que les prophéties de l’Ancien Testament doivent cesser en parvenant à leur réalisation en Lui. C’est ce que saint Thomas d’Aquin exprime encore avec l’acuité théologique et la finesse poétique caractérisant ses hymnes au Saint-Sacrement, particulièrement la séquence Lauda Sion Salvatórem dont nous avons déjà traduit et cité quelques strophes dans la section de cet ouvrage intitulée Illustration : de la Chair et du Sang du Verbe de Dieu, et de l’apostasie. Nous ferons ici de même, les deux strophes suivantes synthétisant à merveille la doctrine catholique de l’accomplissement :

In hac mensa novi Regis,          À cette table du nouveau Roi,

Novum Pascha novæ legis,       la Pâque nouvelle de la nouvelle loi,

Phase vetus términat.                met fin à la Pâque ancienne.                                                   

 

Vetustátem nóvitas,                    L’ancien sacrifice cède la place au nouveau,

Umbram fugat véritas,               l’ombre s’efface devant la réalité,

Noctem lux elíminat.                  la nuit disparaît devant la lumière.

Il n’y a donc aucune contradiction, aucune suppression de la loi mosaïque, puisque cette imparfaite régulation déjà révélée, par nature prophétique et comme telle typologique, trouve sa réalisation dans la régulation (מלכותא) de la Nouvelle Alliance.

Ainsi, enseigner aux Juifs, comme le fait Jésus en Mc 7, 18-19, qu’il n’y pas d’aliment « impur », déclarant par-là « purs » tous les aliments (enseignement qui sera confirmé à Pierre en rêve en Actes 10, 10-16), n’implique nullement que la suppression porte en soi sur l’épistémè divine prophétiquement mise en œuvre par l’entremise législatrice de Moïse. Pourtant, le Lévitique stipule bien, en 11, 46-47, que certains aliments sont rituellement déclarés « impurs » (טמא). Faudrait-il y voir une contradiction, ou encore rejudaïser le christianisme, comme y sont enclins nombre de Protestants, pour s’accorder avec l’Écriture, comme si l’autorité de Celui qui en perfectionne l’ancien rite en l’accomplissant était moindre que l’autorité de ce dernier ? Ce serait, évidemment, n’y rien comprendre. 

Dans son Épître aux Hébreux, 7, 12, saint Paul atteste que le changement de sacerdoce implique nécessairement un changement de la loi. Précisément parce que l’ombre typologique doit céder la place à la réalité sacrificielle du Nouveau Testament scellée dans le Précieux Sang de l’Agneau, les sacrifices de l’économie rituelle ancienne relevant de l’ordre lévitique doivent trouver leur véritable réalisation, c’est-à-dire leur perfection, dans l’économie sacrificielle de l’ordre de Melchisédek (Ps 110, 4 ; Hb 7, 11).

Retournons, à la lumière de cette doctrine et de ses principes épistémologiques intra-scripturaires et logiques, au passage de l’Épître aux Éphésiens qui nous intéresse ici.

C’est le texte liturgique original chaldéo-araméen de la Peshitta [4], composé et écrit à la fois dans le dialecte araméen galiléen primitif (ou araméen palestinien occidental) et dans le dialecte araméen judéo-babylonien (ou araméen oriental) [5], qui dissipe sans équivoque la confusion relative au type de « loi » désignée par saint Paul au verset 15. Il s’agit de נמוסא/NāMōSā [6], sans aucune qualification spécifiant qu’il s’agirait de la « loi de Moïse » écrite, comme l’est la Torah faisant autorité en matière de référence normative inspirée. Par contraste, c’est exactement ce que fait, de son côté, le texte de la version liturgique francophone de l’Ordo Lectionum Missae de 1969…

Mais de quoi parle-t-on donc vraiment ici, si l’on veut réellement saisir les implications de cette acception paulinienne de נמוסא/NāMōSā en Ep 2, 15 ?

Ce que NāMōSā représentait à l’époque du Second Temple en Palestine araméenne assume un sens essentiellement double. Avant le développement du contenu jurisprudentiel accumulé au cours de l’ère pharisienne, la NāMōSā englobait à la fois les préceptes halakhiques et haggadiques considérés comme ayant été directement révélés à Moïse sur le Mont Sinaï en tant que Torah orale d’autorité divine (la propre interprétation que Dieu Lui-même donne de Sa Torah écrite). Avec la montée du judaïsme pharisien au IIe siècle avant J.-C. [7], le travail d’étude et d’interprétation continue de la NāMōSā mosaïque traditionnelle commence à s’accumuler et à faire place à une nouvelle « Torah orale », une tradition orale de réinterprétations pharisiennes qui se matérialise progressivement sous la forme d’un corpus de nouvelles règles et de décrets dits « halakhiques » [8].

C’est ce qui vient donner à la NāMōSā sa deuxième définition. Alors qu’ils mettaient l’accent sur « l’herméneutique de continuité » qui sous-tendait leur conception renouvelée de la Torah orale par rapport à la Torah écrite, les pharisiens se sont en fait écartés des deux en fabriquant un système plus strict d’enseignements et d’ordonnances anticipant le judaïsme rabbinique.

Non seulement ils se sont écartés de la tradition mosaïque authentique (orale et écrite) en la réinterprétant de manière casuistique en faveur du pharisaïsme, mais ils ont également choisi de s’en détacher en prenant la liberté d’introduire des changements dans divers domaines cérémoniels, haggadiques et juridiques de la religion révélée (le judaïsme mosaïque traditionnel) dont ils se considéraient comme les principaux héritiers et représentants, dans la lignée de la tradition interprétative se rattachant à l’autorité même des prophètes (notamment face à la montée et l’influence d’un autre mouvement de la période du Second Temple, celui des sadducéens). Ainsi, alors que le sens traditionnel de NāMōSā (en araméen) se réfère directement aux deux formes originales (orale et écrite) de la Torah mosaïque, sa réinterprétation pharisienne a introduit une corruption de son utilisation par rapport au sens original du contenu divinement révélé de la NāMōSā proprement mosaïque. C’est la raison pour laquelle Jésus réfute les raisonnements et les pratiques falsificatrices des Juifs à l’endroit mêmes de « leurs » Écritures, dont la fonction testamentaire gravite autour de Jésus, le Messie, et le désigne Lui-même comme tel (Jn 5, 39 ; 45-47) :

« Vous scrutez les Écritures, parce que vous pensez avoir en elles la vie éternelle : ce sont elles qui rendent témoignage de moi […]

Ne pensez pas que moi Je vous accuserai devant le Père ; celui qui vous accuse, c’est Moïse, en qui vous avez mis votre espérance. Car si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi, parce qu’il a écrit de moi. Mais si vous ne croyez pas à ses écrits, comment croirez-vous mes paroles ? »

De la religion authentiquement mosaïque (préfigurant le catholicisme) au judaïsme rabbinique en passant par le judaïsme pharisien, la NāMōSā a donc suivi un chemin de décadence interprétative progressive. Sa restauration et son accomplissement ultime étaient subordonnés à l’avènement du véritable Messie, le Verbe éternel de Dieu qui l’incarne en Sa personne même. Saint Jean l’explique avec toute la force et la beauté rythmo-balancée de son style oral si araméen à la fin du Prologue de son catéchisme évangélique (Jn 1,17) :

« Car la Torah [נמוסא/NāMōSā] a été donnée par la main/l’intermédiaire [ביד] de Moïse ; mais [la] la grâce et la vérité [de la NāMōSā] vinrent par la main [ביד] de Jésus le Messie. » 

Par conséquent, à moins que le contexte ne nous éclaire suffisamment pour comprendre que NāMōSā se réfère à son contenu et à son autorité pré-pharisiens (comme c’est le cas en Jn 1,17 et en de nombreux autres endroits où nous trouvons cette expression dans le Nouveau Testament araméen), NāMōSā en tant que telle représente essentiellement le système juridique interprétatif (oral) de la jurisprudence pharisienne alors en vigueur depuis la fin du IIe siècle avant J.C. – et dont une partie deviendra le Talmud de Babylone. Les pharisiens auxquels s’oppose régulièrement le Sauveur dans l’Évangile prétendaient qu’il s’agissait de la « Loi orale » [9], drapée par eux d’un faux dogmatisme (de mains humaines) destiné à protéger son autorité en tant que « tradition des anciens » (משלמנותא דקשישא) [10]. Comme on peut le voir dans l’Évangile selon saint Matthieu (15, 9), Jésus déboulonne cette logique d’accaparation et de réduction pharisaïque de l’épistémè divine faisant véritablement autorité en matière de croyance et de conduite de l’homme (la Torah mosaïque révélée en tant que telle [11], dans sa forme à la fois écrite et orale), en identifiant cette NāMōSā pharisienne pré-talmudique à un ensemble de « doctrines » (יולפנא) enseignées comme des « commandements d’hommes » (פוקדנא דבנינשא). En revenant au verset 6 de Mt 15, nous voyons que le Sauveur, la Parole divine incarnée soi-même, réprimande les pharisiens qu’Il tient pour responsables d’avoir « annulé la Parole de Dieu » (בטלתון מלתא דאלהא) en raison et au nom de leurs traditions (dont fait partie intégrante leur NāMōSā, remaniée en conséquence). Ce qui démontre que l’identification entre NāMōSā et Torah, tant par les pharisiens du 1er siècle que par les traducteurs liturgiques modernistes du Nouveau Testament, s’avère dangereusement inconsistante et fallacieuse, allant jusqu’à contredire la Parole de Dieu parlant ouvertement, en Son Incarnation, contre cette falsification d’une nature prêtant à l’inversion et à l’annulation de la véritable autorité divine de la Torah.

Il convient de noter que NāMōSā, en grec, est traduit par le mot νόμον (de νόμος), préservant phonétiquement l’influence de l’araméen original : [n-m-s] nāmōsā, nómos. Le texte grec désigne en outre les « prescriptions » de cette nómon-nómos (NāMōSā) par δόγμασιν (« dogmes »). Ce sont ces « commandements des hommes », en usage dogmatique chez les pharisiens, qui ont pour effet, selon la réprimande du Sauveur rapportée en Mt 15, 6, d’ « annuler la Parole de Dieu ».

Saint Jérôme, à partir du texte grec, a traduit cette partie du verset 15 comme suit :

« […] legem mandatorum decretis evacuans... » (lit. : « […] les mandats décrétés de la loi Il les a évacués… »).

Aucun des textes originaux ne précise que la « loi » dont parle saint Paul soit celle « de Moïse ». Là encore, les traducteurs français de l’Ordo Lectionum Missae de 1969 ont pris la liberté calculée de fournir cet ajout spécificatif déformant à Ep 2, 15. De telle sorte que la conclusion qui s’ensuit, par implication empoisonnée, est que de tels « commandements et prescriptions juridiques » ayant été abolis, l’ « homme nouveau » établi dans la paix l’est, au bout du compte, « sans commandement » (libéré du fardeau de la « vieille loi » identifiée, à tort, avec la Torah divinement révélée par l’intermédiaire de Moïse).

En traduisant le verset 15 à partir du texte araméen conservé dans les Peshittas chaldéennes et syriaques, en s’attachant à respecter minutieusement  sa syntaxe sémitique tout en l’adaptant aussi précisément que possible à un français contemporain lisible, nous retournons à son intégrité paulinienne originelle, laquelle comprend l’adjectif possessif « Ses » (absent des versions grecques et latines) accordé avec le nom « commandements ».

« Et la haine dans Sa chair, et la NāMōSā du commandement [פוקדא], en Ses commandements [פוקדנוהי], Il l’a annulée, afin que, de ce qui était deux, Il crée [נברא] [12] en Sa personne un homme renouvelé, et en fasse [advenir] l’achèvement. »

Il est en outre instructif de comparer cette version avec les textes grecs et latins du même verset, en s’efforçant également de respecter au plus près leur structure syntaxique originale, dans la mesure du possible en français contemporain lisible :

« […] l’inimitié, dans la chair la sienne, la loi [νόμον] des commandements [ἐντολῶν] en prescriptions [δόγμασιν], Il l’a supprimée, afin de faire des deux en Lui un seul homme nouveau, accomplissant ainsi la paix. »

« […] les mandats décrétés de la loi [legem mandatorum decretis], Il les a évacués [evacuans], afin que des deux Il puisse créer en Lui-même un seul homme nouveau, [accomplissant ainsi] la paix. »

Aussi précis et imprégnés de l’autorité de la tradition que le sont le texte grec et surtout la Vulgate de saint Jérôme, l’araméen montre ici beaucoup plus clairement que le Christ a littéralement néantisé (dé-commandé) les œuvres adultérées de ceux qui avaient trahi et annulé la parole de Dieu divinement « traditionnée » depuis Moïse, au profit de leurs « traditions » purement humaines. Une petite parenthèse ici pour expliquer notre usage verbal du substantif « tradition », conformément aux langues sémitiques, afin d’exprimer plus précisément ce que le phénomène dynamique de la tradition implique réellement et techniquement en termes de transmission et de réception, comme l’indique le concept hébréo-araméen de קבלה (QáBāLāH), à partir de la racine קבל, QBL : « transmettre », « instruire », « recevoir », « donner ». Une illustration particulièrement éloquente de cet emploi clé se trouve dans l’Évangile, en Jn 20, 22, à travers la mystagogie qu’opère Jésus ressuscité envers Ses Apôtres, encore apeurés au cénacle, le soir du dimanche de Pâques :

 

« Et quand Il eut dit cela, Il souffla sur eux [נפח בהון, action mystagogique divine rappelant celle de Gn 2, 7, le verbe étant identique, sur la belle racine פח : … ויּפח באפיו, “et Il souffla dans ses narines…”], et leur dit : “recevez [la forme impérative קבלו/QáBéLû] le Saint Esprit [רוחא דקודשא] ...” ».

Face à l’annulation pharisienne de la parole de Dieu, Jésus, la Parole de Dieu incarnée, annule à son tour la NāMōSā faite de mains humaines (donc fatalement déchue), moyennant « Ses commandements ». Se faisant, Il libère de sa forme mosaïque originale la doctrine révélée dont rien ne passera et qui doit s’accomplir dans le monde présent en ceux et à travers ceux qui gardent « Ses commandements » (Jn 14, 15) :

            « Si vous m’aimez, gardez mes commandements [פוקדני]. »

Enfin, la vérité et la rigueur historique exigent que nous n’omettions pas de signaler que la théologie et les pratiques pharisiennes n’étaient pas qu’une version casuistique et hypocrite délabrée de la véritable religion mosaïque. Ce qui est déjà pourri et sans valeur n’est pas susceptible de corruption. Les pharisiens étaient parmi les mouvements religieux les plus influents et les plus traditionnellement fidèles à l’époque du judaïsme du Second Temple. Ils croyaient et enseignaient la résurrection des morts et cherchaient initialement à perpétuer la doctrine mosaïque du vrai Dieu en développant une érudition orale d’excellence pour instruire tout le peuple, dispensant différents niveaux de formation intellectuelle placés sous la responsabilité de maîtres accrédités (rabanim [13], tels que raban Gamaliel, le maître du futur saint Paul, cf. Ac 22, 3). Les scribes et les pharisiens n’auraient pu siéger sur la chaire de Moïse (Mt 23, 2) s’ils n’avaient pas été des maîtres légitimes selon les normes religieuses les plus élevées de l’époque. Et Jésus Lui-même, l’ultime Rabbi, ne se serait pas donné la peine de tant de disputes avec ces derniers si eux-mêmes n’avaient pas été en mesure d’entendre et de recevoir la connaissance de la Vérité, gage du salut. Et de fait, si la véritable NāMōSā mosaïque, d’origine divine, leur avait bien été donnée par l’intermédiaire de Moïse, il s’ensuit, par implication logique et historiquement attestée, que les pharisiens étaient en fait dans la filiation pédagogique et spirituelle légitime du grand législateur prophétique (Moïse) en tant que chefs religieux savants vis-à-vis du peuple à instruire (Jn 7, 19) :

« N’est-ce pas Moïse qui vous a donné la NāMōSā [נמוסא] ? Pourtant, pas un seul parmi vous ne garde la NāMōSā [נמוסא]. »

La contribution religieuse substantielle du judaïsme pharisien authentique dans la lignée spirituelle de la religion mosaïque proto-davidique était caractérisée par une mémoire traditionnelle puissante et efficace, une grande piété et un pieux dévouement à l’étude de la totalité de la Torah écrite et orale. À la suite des maîtres pré-rabbiniques [14] du judaïsme ancien, les groupes les plus stricts de rabbis pharisiens contemporains de Jésus se vouèrent en outre à la mémorisation systématique et à la transmission orale de ce qui était désigné, en araméen oriental plus scolastique, par le terme אוריתא (ŌRāYeTā).

La signification de ŌRāYeTā ne recouvrait pas de domaines aussi vastes que celle du terme araméen occidental, plus courant au Ier siècle, de NāMōSā [15] – en référence, encore une fois, à la Torah mosaïque, y compris les Prophètes et les Autres Écrits (כתובים), dans son étendue oralisée, « traditionnée » avec l’autorité que s’étaient peu à peu octroyés les pharisiens, sur une base d’abord légitime, nous l’avons vu. Les maîtres qui parlaient l’araméen oriental en Palestine préchrétienne se référaient traditionnellement à l’ŌRāYeTā comme au Pentateuque mosaïque dans sa forme écrite et orale. Ce terme n’est explicite qu’en quelques passages du Nouveau Testament (alors qu’il est implicitement supposé dans de nombreux endroits où apparaît plutôt le terme NāMōSā, plus communément usité), dont deux épisodes où le Sauveur se voit confronté aux pharisiens qui tentent de le mettre à l’épreuve.

Alors qu’Il traverse des champs de blé avec Ses disciples le jour du sabbat, ces derniers, gagnés par la faim, se mettent à arracher des épis et à manger. Un groupe de pharisiens l’ayant remarqué, ils lui objectent qu’il s’agit-là d’une violation de ce qui est permis un jour de sabbat (Mt 12, 1-2). Sous formes de deux questions destinées à faire apparaître les lacunes de la connaissance et de la compréhension qu’ont ces pharisiens de la Torah et des Prophètes dont ils se réclament, Jésus fait allusion au roi David qui, ayant eu faim, demanda à un prêtre de quoi pouvoir se rassasier avec ses hommes. L’épisode auquel Jésus fait ici référence, que l’on trouve en 1 S 21, 1-7, rapporte que le prêtre, en pareilles circonstances, passa outre les restrictions rituelles auxquelles il était lui-même tenu au premier chef, afin de nourrir le roi David et ses hommes avec le « pain de la présence », לחם פנים (cf. Exode 25, 30), littéralement « le pain des visages », le « visage » (pluralisé en hébreu, פנים) signifiant et manifestant la présence invisible la plus intime de l’ipséité, du « je » parlant à un autre « je ». D’où le mot hébreu « intérieur », פנימה, consonantiquement identique au mot « visage » (פ-נ-ם, P-N-M). Personne ne voit jamais la réalité invisible du « moi » d’un autre en tant que tel, pas même son propre « moi », et encore moins l’ipséité divine (manifestée néanmoins dans l’Incarnation du Verbe, laquelle fait briller « la connaissance de la gloire de Dieu sur la Face de Jésus le Messie », cf. 2 Co 4, 6). Ainsi, nos visages (פנים) sont de véritables signes physiques de cette réalité intérieure métaphysique (פנימה) constitutive de toute substance rationnelle capable de dire « je » [16]. D’où, encore, ces paroles pauliennes sublimes (2 Co 3, 18) :

« Nous tous qui, le visage découvert [באפא גליתא, l’équivalent araméen de l’hébreu בפנים גלויות], contemplons comme dans un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en la même image, de gloire en gloire, comme par le Seigneur, l’Esprit. »    

Pain spécial donc, par sa fonction rituelle, que ce pain « de la présence » / « des visages » placé sur une petite table d’acacia en présence ou devant YHWH dans le lieu saint. Ce pain était donc une nourriture à proprement parler « sacrée », puisque rituellement séparée de tout usage profane, consacrée au seul usage des prêtres qui s’en nourrissaient chaque sabbat.

Il fait ensuite allusion aux prêtres jugés irréprochables, y compris après avoir accompli des holocaustes spécifiques le jour du sabbat, en plus de l’holocauste perpétuel quotidien (cf. Nb 28, 9-10). Les deux épisodes sont corrélés de manière à permettre finalement au Sauveur de les mettre en rapport avec Lui-même et Ses disciples, pour faire ressortir l’intelligibilité mutuelle et la double autorité de la Torah (ici en tant qu’ŌRāYeTā) et des Prophètes, qu’englobe dans leur entièreté révélée la NāMōSā d’origine divine (Mt 12, 3-5) :

« N’avez-vous pas lu ce que fit David, lorsqu’il eut faim, lui et ceux qui étaient avec lui […] ? 

Ou, n’avez-vous pas lu dans l’ŌRāYeTā [באוריתא] …

De même, après avoir « réduit au silence les sadducéens » (Mt 22, 34), Il est mis à l’épreuve par un pharisien décrit par l’Évangile comme un « connaisseur [דידע] de la NāMōSā » (Mt 22, 35). Ce dernier, cherchant à épingler Jésus en testant son autorité de rabbi, l’interroge à propos du « plus grand commandement [פוקדנא רב] de la NāMōSā » (22, 36). Le Sauveur répond sans détour (22, 37), en éludant finalement le test de façon à faire ressortir expressément la portée et les implications mutuelles réelles de l’autorité de la Torah mosaïque et des Prophètes (22, 40) quant à l’accomplissement de ce plus grand des commandements, lequel consiste en un premier (22, 38), puis en un second commandement, lequel lui est semblable (22, 39).

« De ces deux commandements dépendent l’ŌRāYeTā [אוריתא] et les NViYé [נביא]. »

Confirmant le témoignage du précurseur, Jésus avait déjà mis sur un pied d’égalité la Torah et les Prophètes, dans la mesure où la totalité de leur contenu constitue une révélation prophétique en vigueur jusqu’à l’avènement de saint Jean-Baptiste (Mt 11, 13) :

            « Car tous les Prophètes [נביא] et l’ŌRāYeTā [אוריתא] ont prophétisé jusqu’à Jean. »

Saint Paul, ancien rabbin pharisien de génie, souligne pareillement l’importance que revêt ce lien vital à ses destinataires corinthiens, faisant appel à ce qui est écrit dans la Torah et citant le prophète Isaïe [17] pour en renforcer le témoignage prophétique perdurable (1 Co 14, 21) :

« Dans la NāMōSā [בנמוסא], il est écrit [כתיב] : “avec un discours inintelligible ??? et dans une autre langue, Je parlerai à ce peuple…” »

Enfin saint Jacques le Galiléen [18], dans son Épître exigeante et puissante, parle en deux endroits (1, 25 et 2, 12) de la « Torah de liberté » (נמוסא דחארותא/NāMōSā d’ḤēRûTā), qui est aussi, par-là même (1, 25), « Torah parfaite/achevée » (נמוסא משלמנא/NāMōSā mSHáLMāNā), la vraie régulation céleste de la grâce s’achevant (trouvant sa perfection en l’homme racheté) dans et par l’exercice de cette liberté (aux antipodes de la régulation luciférienne du monde promouvant une « liberté » d’esclave, de servitude volontaire intériorisée). Bien qu’il utilise l’araméen occidental NāMōSā, plus englobant et habituel, dans les deux cas (et de même dans d’autres cas se référant à la Torah tout au long de l’Épître), la remarquable juxtaposition de NāMōSā (Torah) et de liberté semble faire allusion à un targum araméen, celui du Psaume 119, verset 45, que l’on trouve dans le Targum des Livres hagiographes [19]. La lecture du targum araméen du Psaume 1, verset 2, à la lumière de ce que nous avons vu jusqu’ici, fournit déjà un aperçu clé de l’étendue et de l’autorité de la Torah mosaïque, écrite comme orale (et comprenant les Prophètes et les Hagiographes), en Palestine préchrétienne targumique – du début de l’ère du judaïsme postexilique à la fin de l’ère préchrétienne, et pendant le développement précoce de celle-ci. L’expansion targumique du texte hébreu original du Psaume 1 articule en effet de manière signifiante et explicite NāMōSā et ŌRāYeTā au début de la grande récitation méditative du psautier glosé (1, 2), pour souligner que le bienheureux (verset 1) est celui qui mémorise, pour l’apprendre et la faire sienne, l’unique Torah de YHWH, laquelle comprend l’ensemble du dépôt de la vérité révélée, écrite et transmise oralement par Moïse, les Prophètes et les Hagiographes (1, 1-2) :

« Bienheureux [טוביה] l’homme qui ne marche pas selon la règle des méchants […] Mais dont le désir est dans la NāMōSā [נמוסא] de YHWH, et dans Son ŌRāYeTā [אוריתיה] qu’il mémorise/étudie/médite jour et nuit. »

La lecture targumique du texte hébreu original paraphrase le texte du Psaume 119, 45 de telle manière à laisser entrevoir le sens précis dans lequel saint Jacques conçoit l’expression « de liberté » lorsque, tant en 1, 25 qu’en 2, 12, il la juxtapose à « Torah » :

« Et je marcherai [ואיהך] dans les chemins ouverts [בפתיות] [20] de l’ŌRāYeTā [אוריתא]. »

Ainsi, en particulier en 1, 25, saint Jacques propose une lecture targumique catholique de ce que les deux targums araméens originaux des Psaumes 1,1-2 et 119, 45 recoupent respectivement, pour établir, en un seul verset, le lien entre :

1)     « scruter », ou, selon la lecture targumique du Psaume 1, 2 : « mémoriser/étudier/méditer » ;

 

2)     « la Torah parfaite de liberté » (ce qui, selon la lecture targumique du Psaume 119, 45, signifie la Torah-ŌRāYeTā dont les voies sont ouvertes pour que le scrutateur diligent puisse y marcher librement) ;

et

3)     la « bénédiction » de l’homme (selon Ps 1, 1) qui, agissant de cette manière (« jour et nuit »), n’entend pas pour oublier, mais est restauré dans la ressemblance de son Créateur à travers son travail [de cultivation des vertus] et son adoration [עבדה] [21] de YHWH.

« Mais celui qui scrute la Torah parfaite de liberté [נמוסא משלמנא דחארותא] et y persévère, n’étant point un auditeur qui n’entend que pour oublier, mais un exécutant d’œuvres, béni [טובנא] sera-t-il dans son ouvrage [dans son culte de YHWH]. »

La NāMōSā de l’altération pharisienne a jeté les premières bases écrites du judaïsme rabbinique ultérieur, au sein duquel cette NāMōSā de mains humaines a fini par être adoptée comme une « nouvelle Torah » à part entière. En fin de compte, cette première révision et compilation écrite de la NāMōSā dérivée de sa réinterprétation jurisprudentielle pharisienne en tant que « loi » de la « répétition [seconde] » apparaîtra avec la montée du judaïsme rabbinique succédant au mouvement pharisien de la période du Second Temple, donnant précisément naissance à la Mishna, faisant office de seconde répétition, מ-שנה.

L’histoire du processus par lequel la Mishna atteindra sa forme actuelle est complexe et comprend un grand nombre d’éléments de sources variées – éléments oraux pré-mishniques et autres éléments parsemés à travers la littérature rabbinique ancienne (dont les midrashim halakhiques et haggadiques). On ne peut donc réduire l’entièreté du contenu de la Mishna à la version pharisienne de la NāMōSā issue du judaïsme préchrétien basé en Palestine au 1er siècle après J.-C. Toutefois, dans la mesure où la NāMōSā pharisienne a commencé à exister en tant que commentaire anagogique oral faisant autorité pour expliquer la Torah mosaïque écrite, elle coïncide de manière significative avec la Mishna rabbinique primitive, qui a elle aussi commencé à exister en tant que « tradition » interprétative orale.

La NāMōSā pharisienne, une loi orale décadente, et la Mishna rabbinique primitive, également une loi orale interprétative (midrashique), sont donc à la fois distinctes et étroitement liées. Historiquement parlant, il semble raisonnable de faire coïncider le début du processus écrit de la formation de la Mishna avec la résolution des principaux rabbins pharisiens réunis à de Yabneh (Jamnia) à la fin du 1er siècle après J.-C. de préserver et de consolider la pratique du judaïsme après la chute de Jérusalem et la destruction de son Temple. Le statut canonique de la Mishna a été décrété après coup, la nouvelle structure du judaïsme ayant été assurée par la reconstitution du Sanhédrin, l’établissement de la yeshiva et la restructuration de l’institution de la synagogue comme « Temple » de substitution.

La codification de la Tosefta (qui complète, comme son nom l’indique en hébreu, la Mishna écrite) et la mise en forme des deux Talmuds (le Palestinien et le Babylonien, produit de trois siècles de travail interprétatif sur la Mishna) suivront. La préséance complète et progressive prise par le Talmud ultérieur et les commentaires rabbiniques connexes sur le dépôt de la NāMōSā mosaïque se concrétisera pleinement avec l’avènement du rabbinisme savoraïque et géonique [22], ouvrant la voie à l’essor et à l’autorité usurpée du judaïsme talmudique.

La loi talmudique, une fausse « torah » faite de textes transmis par les hommes, va jusqu’à annuler la Torah mosaïque – laquelle, encore une fois, comprend les doctrines divines traditionnelles de la Torah écrite et orale, ainsi que l’enseignement des Prophètes, c’est-à-dire le véritable modèle prophétique, tant mystagogique que doctrinal, du catholicisme avant la Pentecôte [23]. À la Pentecôte, le Dispensateur de la Torah se donne à l’Église catholique fondée sur les Apôtres, afin que le feu de l’intelligence céleste (surnaturelle) puisse illuminer les intellects des douze premiers évêques quant au sens véritable et vivant de la Torah, c’est-à-dire à son accomplissement indépassable par la mise en œuvre des doctrines et des commandements [24] de Jésus, leur Messie ressuscité [25]. C’est cela la véritable illumination, d’où les langues de feu (Ac 2, 3-4). L’illuminisme talmudique en est en quelque sorte l’image inversée (luciférienne). Il trouve sa source dans « l’illuminisme » légaliste pharisien, qui est allé jusqu’à « invalider » la Torah – l’épistémè divine normative – pour consolider une jurisprudence suprématiste sévèrement dénoncée par le Verbe incarné comme « traditions des hommes » (Mc 7, 8). Il ne s’agit pas seulement du fait que ces traditions aient été purement humaines, pour mauvaises que puissent être des traditions de ce type. Plus fondamentalement, c’est l’ensemble du processus qui a conduit au remplacement de la Torah, en tant qu’authentique parole de Dieu, d’abord par le rabbinat pharisien du 1er siècle [26], puis par le rabbinat mishnique (pré-talmudique) [27] dans le judaïsme postérieur au Ier siècle, qui est allé jusqu’à adopter la logique de l’inversion satanique dans sa haine déclarée envers l’Église et Sa Tête divine, qui est le Christ – le vrai et seul divin Messie.

En cas de doute sur la signification du mot « loi » en de nombreux endroits du Nouveau Testament, et sur la question de savoir si les commandements de la Torah mosaïque (nous avons traité ici de la vraie nature de celle-ci, des commandements ratifiés et accomplis à travers la mise œuvre de la régulation du Nouveau Testament) ont été en quelque sorte supprimés par l’Évangile, les chrétiens n’auront qu’à se souvenir des paroles de l’ancien pharisien, rabbi saint Paul, consignées dans son Épître aux Romains (7, 12) :

« La NāMōSā [נמוסא] donc est sainte [קדיש], et le commandement [פוקדנא] est saint [קדיש], juste [כאין] et bon [טב/TāV]. »

Conclusion :

De nombreux autres textes liturgiques s’avèrent similairement altérés au gré des diverses traductions vernaculaires de l’Ordo Lectionum Missae de 1969, en usage quotidien dans les églises du monde entier ayant mis en œuvre les transformations conciliaires. La destruction du dogme catholique, de l’intérieur même de cette Église depuis l’avènement funeste de Vatican II, atteste tragiquement de l’efficacité corrosive de ces transformations telles qu’intégrées et véhiculées à la fois par le Novus Ordo Missae et les traductions vernaculaires de l’Ordo Lectionum Missae.

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[1] Ordo Lectionum Missae, editio typical, Vatican City: Typis Polyglottis Vaticanis, 1969.

[2] Par l’Association épiscopale liturgique francophone (AELF). L’AELF a été établie le 30 septembre 1969. En novembre 2013, après 17 ans de travail, elle a publié le nouveau texte de la traduction liturgique officielle de la Bible en français.

[3] De l’AELF, première lecture de la messe (Ep 2, 12-22), XXIXe semaine du temps ordinaire.

[4] Le texte néotestamentaire chaldéen de la Peshitta, écrit le premier en כתב מרבע (« écriture carrée ») ou encore כתב אשורי (« écriture assyrienne ») au 1er siècle, comme sa version syriaque, écrite en écriture dite « estrangélo » (littéralement « arrondie », d’après le grec στρογγύλος) au cours du IIe siècle, témoignent d’une connaissance de première main à la fois des formules interprétatives (glosées) de la littérature judéo-araméenne (notamment targumique) et du style de composition (oral) des auteurs apostoliques. Phénomènes formulaire et stylistique dont une étude sérieuse établit facilement et sans équivoque qu’ils n’ont pas pu provenir du grec, qui n’est qu’une langue néotestamentaire seconde de traduction.  

[5] Le dialecte araméen judéo-palestinien (parlé par les érudits juifs du 1er siècle, comme saint Paul lui-même) et le dialecte araméo-galiléen (parlé par les paysans du 1er siècle formés à l’oral et scolarisés en dehors des centres d’enseignement supérieur de Judée). Les Apôtres (y compris saint Paul, qui maîtrisait les cultures orale et écrite) et les évangélistes ont écrit en utilisant l’ancienne écriture carrée chaldéenne, essentiellement similaire à l’écriture utilisée sur la plupart des manuscrits de la mer Morte. Les rouleaux néotestamentaires de la Peshitta ont été progressivement transcrits de cette écriture carrée originale en écriture syriaque au cours du IIe siècle, un processus probablement initié dans la ville d’Édesse vers la fin du 1er siècle.  

[6] Chaque fois que nous citons, discutons et traduisons un mot clé en araméen ou hébraïque, nous avons fourni une translittération aussi phonétiquement claire que possible, marquant les consonnes par des majuscules. 

[7] Les Pharisiens ont commencé à exister en tant que groupe structuré peu après la fin de l’ère zadokite et le début de la période hasmonéenne. Cette dernière fait suite directement à la révolte des Maccabées menée par le prêtre Mattathias et ses descendants entre 168 et 160 avant J.-C. contre l’armée séleucide d’Antiochus IV Épiphane occupant une Jérusalem profanée.  

[8] Les cinq principaux groupes de commandements fabriqués par les rabbins pharisiens et post-pharisiens pour légiférer sur la Torah écrite mosaïque et assurer l’ascendance de leur propre NāMōSā révisée sont les suivants : 1) הלכות (de הלך, HLKH signifiant « marcher/aller/se conduire », d’où le sens moral générique d’ « ordonnances » ou d’ « observances ») ; 2) מנהגים (de נהג, NHG, signifiant « conduire/conduire/guider un bétail », ce qui a fini par signifier « coutumes » sous domination jurisprudentielle pharisienne tardive et rabbinique précoce) ; 3) תקנות (de תקן, TQN, signifiant « rendre droit », qui a fini par signifier « promulgations » ou « décrets » sous régime pharisien tardif et rabbinique précoce) ; 4) סייגות (littéralement « clôtures », signifiant, en hébreu rabbinique, « clôtures de la Torah », סייגות התורה ; et, par dérivation appropriée du sens étendu, « restrictions ») ; 5) מעשים חכמים (littéralement « les actes des Sages », auxquels on fait appel pour valider la manière dont les ordonnances, coutumes, décrets et restrictions rabbiniques doivent être respectés et suivis).   

[9] תורה שבעל פה (la « Torah de sur la bouche »).

[10] Voir Mt 15, 2 et Mc 7, 5.

[11] L’œuvre du Saint Esprit, qui va effectivement en confirmer l’intelligence en Se communiquant Lui-même aux Apôtres sous forme d’effusion et de « langues de feu » à la Pentecôtes (Ac 2, 1-11).

[12] De l’hébreu ברא/BāRā (« créer »), cf. Gn 1, 1 ; nif. נברא/niVeRā (« être créé »).  

[13] La culture traditionnelle du pharisaïsme a produit de grands maîtres, littéralement rabanim (רבנים) ; grands par leur savoir et leur sainteté de vie, dont le célèbre disciple de raban Gamaliel (רבן גמליאל), l’exceptionnel Shaoul (שאול), qui sera connu plus tard sous le nom de saint Paul Apôtre.   

[14] Tous les ḥazal ou ḥakhamim antérieurs au premier siècle, comprenant essentiellement les soferim et les pré-tann’aim ou zugot.

[15] Plus fréquemment utilisé dans les milieux araméens occidentaux.

[16] D’où le caractère particulièrement détestable de la mentalité « sanitaire » (covidique) consistant à instituer une nouvelle normalité selon laquelle tout le monde devrait se masquer pendant des mois, voire des années, au motif d’une grippe.  

[17] Isaïe 28, 11.

[18] Le premier évêque de Jérusalem, parlant couramment les dialectes araméens occidentaux (galiléens) et orientaux (judéo-babyloniens).

[19] Le תרגום כתובים (targum Ketuvim), inclus dans le תרגום יונתן (targum Jonathan), écrit en écriture assyrienne chaldéenne (principalement en dialecte araméen oriental) et traditionnellement (oralement) connu (récité) bien avant qu’il n’existe en tant que document écrit. Un volume entièrement araméen et séparé de l’ensemble du targum des Écritures a été publié en 1873 sous la supervision éditoriale de l’orientaliste allemand Paul de Lagarde par la prestigieuse Bibliotheca Teubneriana (les éditions B. G. Teubner) à Leipzig, sous le titre : Hagiographa chaldaice.  

[20] En Ep 3, 18, saint Paul utilise le même terme au singulier pour « largeur » (פתיא/PHTāYā).

[21] C’est pour cela qu’Adam a été placé dans le jardin d’Eden (Gn 2, 15) : לעבדה, de עבד, signifiant « labourer », « cultiver », « travailler » et « adorer » (c’est-à-dire le travail ultime intrinsèque à Adam et destiné à lui servir de béatitude transformatrice et actualisatrice de sa nature devant Dieu, l’auteur de cette nature). 

[22] Deux périodes successives dans l’histoire du judaïsme rabbinique post-Yabneh, allant de la fin du Ve siècle environ au début du XIe siècle.

[23] Le prototype de cette dernière était la Pentecôte sinaïque où la véritable Torah mosaïque a été donnée à l’Israël prophétique de l’Église catholique, le nouvel Israël.

[24] Compris dans les Évangiles.

[25] Le Verbe incarné, donc la pleine incarnation vivante de la Torah en personne, qui a parlé à Moïse, de qui, à son tour, Moïse a écrit (voir Jn 5, 46-47).

[26] Dont la « loi » a constitué le premier plan du Talmud.

[27] Dont les commentaires gemaraïques ont finalement été rassemblés en une collection d’enseignements faisant autorité sous la forme du Talmud de Babylone.