La Syrie, le journalisme chrétien et la Science d'Etat en France

Publié le 19/06/2015

La Syrie, le journalisme chrétien et la Science d’Etat en France.
Lettre ouverte au Journal La Croix à propos de son dossier « Quelle paix en Syrie ? ».
S. Bensmail
 
Dans un dossier intitulé « Quelle paix en Syrie ?», paru vendredi 24 avril 2015 et composé de trois contributions, le journal La Croix introduit d’emblée : « Sourd à toute idée de réforme, le régime de Bachar al-Assad résiste farouchement aux attaques de l'opposition armée ».
 
Alors que dans la première de ces contributions, « Soulager la population », Monseigneur Pascal GOLLNISCH, directeur général de L’Œuvre d’Orient,  apporte un point de vue équilibré, les deux autres sont curieusement éloignées de l’objectivité à la base du métier de chercheur. Leurs auteurs, respectivement d’« Une guerre de Trente Ans » et du “(Le) prisme de l’émotion”, sont en effet Camille GRAND, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), et Matthieu REY, Maître de conférences auprès de la chaire d’histoire contemporaine du monde arabe au Collège de France.
 
Seule, la parole invitée de l’homme d’église – le plus apte avant tout à la compassion à l’égard des victimes ? -, est informée d’une connaissance in situ. Les autres, pourtant marquées du sceau de la légitimité scientifique, ne donnent hélas qu’une construction argumentative peu ou prou étayée par une expérience actualisée du terrain.
 
François, un ancien haut fonctionnaire soucieux d’échanger sur un « Islam de plus en plus violent » - selon lui -, m’a tancé à la lecture de cette lettre « impubliable » et « agressive » : il est inutile de procéder par attaque personnelle ! Mais est-ce là des questions en rapport avec la vie privée de ces experts - qui ont le pouvoir de rendre publiques leurs opinions avant tout personnelles et de les présenter comme vraies ? Y a-t-il là une agressivité intolérable de la part d’un lecteur quand on lit les lettres poignantes et accusatrices des violences autrement plus terribles commises quotidiennement contre les Syriens : celles, par exemple, de Mouna Alno-Nakhal, « Alep : de quelle couleur es-tu ? »[1], et du Docteur Nabil Antaki, «Ce qui se passe en Syrie »[2] ?
 
Expertise médiatique & témoignages chrétiens en Syrie
En observant le paysage de l’expertise française médiatisée, il ne faut pas s’étonner de la cécité et de l’autisme de nos dirigeants qui écoutent leur cour de conseillers et de communicants officiels et officieux – payés avec nos impôts s’il vous plaît – pour obtenir confirmation de leur propre dissonance cognitive, mais également de leur vision inhumaine, cynique et impitoyable du Monde. Dans Spoutnik[3], Alexandre Latsa relève à propos de l’alliée russe de la Syrie – le dossier ukrainien est étroitement lié à la Syrie et renvoie à la nouvelle et dangereuse guerre froide imposée par les USA à la Russie diabolisée -, ce déni permanent et systématique de la réalité :
« Les experts omniprésents tant dans la sphère médiatique que dans divers instituts n'ont finalement rien produit de réaliste à propos de l'évolution de la situation en Russie, et ils n'ont pas beaucoup éclairé la lanterne des décideurs politiques français, c'est le moins qu'on puisse dire. Non, l'économie russe ne s'est pas effondrée et la plausible récession de cette année sera visiblement bien plus faible que prévue.
(…) La totale incapacité de la majorité des analystes et journalistes français à percevoir et à comprendre les réalités russes ne s'explique d'aucune façon rationnelle. Souvent, ils nient les évidences, comme aveuglés par une folie idéologique et dogmatique.
(…)Au lieu de nous inquiéter pour la gouvernance russe, il conviendrait plutôt de nous demander pourquoi nos élites journalistiques et politiques, en France et en occident, sabordent le navire commun sur lequel nous nous trouvons.
Et l'on se prend à rêver de l'arrivée d'une génération de conseillers consciencieux et lucides, des conseillers dont l'État français manque cruellement en ce moment.»[4]
 
Pour en revenir à La Croix, seul quotidien encore crédible à mes yeux – et à ceux de nombreuses personnes de tout horizon que je côtoie -, encore capable de produire une analyse relativement objective de l’actualité, deux spécialistes sur trois réitèrent un point de vue biaisé de la situation en Syrie. Vos ajouts rédactionnels : le chapeau introductif, les « Repères » dans lesquels on lit que « 20 000 personnes sont portées disparues après être passées par les prisons du régime », les extraits d’une lettre importante des Évêques catholiques et orthodoxes[5], vont dans le même sens : dénoncer et diaboliser Damas, afin de préparer l’opinion publique (française) à la destruction finale de ce pays qui a tant œuvré à notre propre sécurité[6]. Quelle belle gratitude !

Peut-être aurait-il été utile, aussi, d’ajouter une ou deux pièces au dossier, cette étude de François Belliot par exemple, « Autorités chrétiennes de Syrie censurées ou diffamées par les médias »[7], précédée de son « Syrie : Comment les médias français intoxiquent l’opinion publique »[8], ou cette lettre de Mgr Samir NASSAR, Archevêque Maronite de Damas, « A quelle heure allons-nous mourir ?»[9]

 
Pourquoi ne pas donner la parole au Père Rodrigo Miranda, par exemple :
         « Ce que désire le peuple syrien par-dessus tout, c’est que dans les autres pays, on raconte ce qui se passe vraiment en Syrie. (…) et non de parler de ‘’régime’’, de vouloir cataloguer à tout prix comme ‘’dictateur’’ tous ceux qui ne font pas ce que [certains pays] veulent (…). On ne peut pas appliquer la démocratie telle que nous l’entendons, à des pays où le substrat culturel est totalement différent : il faut respecter la diversité et la culture de l’autre, c’est comme cela qu’on garantit la paix. »[10]
 
Alors que Monseigneur Gollnisch rappelle à juste titre que le « président Assad » est un « chef de l’État reconnu d’un pays souverain » il affirme en connaissance de cause : « Nous ne pouvons négocier avec les groupes ultra-violents qui terrorisent la population ». Ce principe essentiel dans la résolution des conflits est à nouveau souligné : « Donner la parole aux Syriens eux-mêmes », tout en étant complété en ce même sens de respect de l’autre :
« Il n’y a pas qu’une forme de démocratie. La Syrie a sans doute besoin d’une forme fédérale permettant aux différentes composantes de jouir d’une autonomie suffisante ; il appartiendra alors aux Syriens de désigner leurs dirigeants. »
 
Cette parole essentielle, qui rejoint la position de Mère Agnès-Mariam de la Croix[11], vaut aussi pour toute investigation journalistique : donner la parole aux concernés, c’est-à-dire aux acteurs et aux témoins de cette tragédie. Où sont-ils dans votre dossier ? N’y a-t-il pas de Syriens, sur place ou en France, susceptibles d’apporter un éclairage plus juste et moins idéologique? Des arabes, des kurdes, des yazidis par exemple, musulmans, chrétiens, juifs ou d’autres encore qui pourraient « rationaliser des scénarios menant à la paix », comme le prétend votre rédacteur en chef, J. – C. Ploquin ?
 
Du Moyen-Orient à l’Europe et au Maghreb, tout autour de la Mer Méditerrané, des pistes sérieuses d’analyse et de lutte contre le terrorisme sont pourtant données pour qui veut écouter[12]. Vous ne les évoquez même pas.
 
 
M. Rey, l’historien qui élude la permanence du projet colonial
Prenons le premier de vos spécialistes scientifiques.
Jeune agrégé détaché au Collège de France, Matthieu Rey[13], dans sa contribution pourtant assez nuancée, nous laisse penser à la quasi-inexistence de l’Armée Arabe Syrienne – qui a tant sacrifié depuis 2011[14]. Celle-ci ne se serait plus qu’« une coalition de milices, plus ou moins autonomes, développant des liens avec des forces étrangères armées. »Voici donc une armée régionale puissante – et pour preuve !, réduite à un ensemble hétéroclite et désorganisé de bandes armées implicitement incontrôlables!?
 
Soit dit en passant, que diriez-vous si la France venait à être attaquée par un flux continu de dizaines de milliers de terroristes ? Nos forces de sécurité auraient alors tout intérêt à être particulièrement aguerries (le sont-elles vraiment face à un éventuel terrorisme urbain de grande ampleur?...), agiles mais unifiées, rationnelles mais prêtes au don de soi. Imaginez un seul instant ! En ville ou au travail, cette simple hypothèse en a scandalisé plus d’un : « Mais ce n’est pas possible ! », « Justement, ça ne peut pas arriver en France ! », « Nous sommes une démocratie bon sang !! »
 
En voyant l’extraordinaire endurance de la société syrienne, que dire de notre société à nous, en état d’anomie[15], société atomisée et vulnérable dont les États-majors de défense s’inquiètent à juste titre de sa bien faible capacité de  résilience face aux traumatismes à venir[16]?
 
Pour M. Rey, l’historien que vous avez invité, il s’agit en Syrie tout simplement d’un « soulèvement contre des tyrannies ». Grosso modo, rien ne peut nous arriver dans notre si « douce France » car nous sommes en démocratie, un pays leader évidemment. Eux, les moyen-orientaux, les arabes, mais aussi les slaves et les russes, sont les barbares et les despotes !
 
Les nombreux témoignages, parfaitement documentés, relayés même par des médias anglo-saxons voire continentaux, rapportent les techniques identiques de déstabilisation – de « proxy war » - par assassinats croisés de manifestants et de forces de l’ordre, via de mystérieux snipers sur les toits provoquant l’embrasement général en Libye[17], comme au Maïdan de Kiev[18]et en Syrie[19]. Malgré des officiels sécuritaires et des diplomates européens, malgré les preuves matérielles dûment authentifiées notamment les services allemands et français notamment, cela n’a donc tout simplement pas existé pour nos médias et nos intellectuels.
 
Votre expert, pour en revenir à lui, nous explique :
« Les régimes de Damas et de Bagdad partagent une gestion confessionnalisée de leur population, avec l’exclusion de groupes de citoyens et la mise en valeur d’autres ; l’absence de formule politique d’avenir pour la gestion des besoins de la population ; et une approche exclusivement sécuritaire des problèmes. »
 
Or, en dépit des pronostics (toujours très assurés) du Quai d’Orsay[20] – qui a fait la sourde oreille à son Ambassadeur de l’époque en place, Éric Chevalier, tout en lui tirant la sienne[21] –, si l’Armée Arabe Syrienne ne s’est toujours pas effondrée, c’est précisément parce qu’en plus d’être rustique et soudée sous un commandement fiable, elle intègre toutes les confessions et les couches de la société. Au fur et à mesure des monstrueuses exactions commises par les groupes armés « modérément » décapiteurs, cette armée est apparue comme le seul rempart au chaos, au viol, à la  rapine et au meurtre. Les unités même les moins aguerries évitent autant que possible les pertes civiles – ou « dommages collatéraux »[22].Tout officier syrien sait en effet que la victoire finale consolidée dépend de la population ; et c’est bien pour cela que les groupes terroristes les utilisent comme boucliers humains, gelant des quartiers (voire des villes entières) de toute attaque massive - contrairement à une énième campagne de désinformation relayée par nos grands médias en perte continue de crédibilité[23].
 
Parler de « gestion confessionnalisée » des populations, et d’ « absence de formule politique d’avenir pour la gestion des besoins de la population » est erroné puisque, quatre ans plus tard, en dépit d’une guerre acharnée par procuration, en dépit des pertes humaines considérables[24], de l’exode massif qui dévitalise l’économie, et de la destruction de plus de 70 % des infrastructures[25] - profite-t-elle vraiment à la population ? -, le « régime » est toujours là, appuyé par la grande majorité. Regardez ces vidéos et photographies de foules immenses allant voter[26], voyez comment les habitants des villes et villages accueillent en liesse les unités victorieuses.
Ah ces Syriens qui ne comprennent rien!...
 
Plus loin, au niveau de la « Syrak »[27], M. Rey relève cependant et à juste titre l’absence d’”objectif de guerre” contre Da’ech par la coalition pilotée par les USA, sous la bannière de laquelle la France s’est sagement rangée. Dommage qu’il n’aille pas plus loin. Pourquoi donc, de l’avis des nombreux observateurs locaux et internationaux, les frappes aériennes coalisées se contentent-elles d’affaiblir et de repousser Da’ech (par ailleurs bien renseigné et approvisionné) des zones jugées utiles (pétrolières ou kurdes alliées, à Erbil, par exemple)[28]? L’efficacité des frappes aériennes dont on nous vante les mérites est en effet largement remise en cause dans certains cercles militaires arabes et occidentaux, malgré les opérations de communication ici et là[29], sans parler d’une presse internationale plus objective qui parle de plus en plus de soutiens ponctuels avérés de l’appui aérien coalisé en faveur d’unités Da’esh en mauvaise posture face aux brigades des résistances populaire et tribale. Plus généralement, comment une organisation terroriste aussi bien organisée, armée et financée a-t-elle pu voir le jour aussi vite, conquérir plus du tiers de l’Irak en quelques semaines, exceller en art militaire tactique et maitriser aussi bien les ressorts de la guerre psychologique que médiatique? Qui sont exactement, parmi nos chers amis qatari-saoudiens - amoureux de la culture française, donateurs au Musée du Louvre mais aussi investisseurs immobiliers et sportifs !-, les réseaux et circuits de leurs sponsors, formateurs et pourvoyeurs d’équipement?[30] Quid aussi de la Turquie dirigée par les Frères musulmans, cette bourgeoisie islamiste et mercantile nostalgique de l’histoire ottomane ? A qui finalement profite cette noria furieuse qui prolifère[31]?

Il est vraiment dommage donc que l’analyse intéressante de M. Rey (la crise syrienne perçue au prisme de l’émotion, et la critique de la tradition française de valorisation exclusive des minorités)[32] ne s’arrête qu’au seuil des raisons véritables et profondes de la destruction systématique et continue de l’un des derniers grands pays arabes fidèles à l’esprit de la Résistance.

 

Résistance à la colonisation et à la domination.

 

Mais où donc est justement passé l’esprit français de résistance ?

 

Tout juste après le 70ème anniversaire de la libération du Camp de Ravensbrück, je pense aux milliers d’histoires héroïques d’une France en guerre, à Martha Desrumaux par exemple, qui survécu à son internement aux côtés de Geneviève de Gaulle – Anthonioz et de Germaine Tillion – celle-là même qui a naturellement œuvré pour l’indépendance de l’Algérie. Après son engagement politique de jeune femme en colère face à « la rudesse des ordres » dans les usines de textile, basculant dans la clandestinité, Martha jetait des pavés dans les vitrines du centre de la propagande nazie à Lille :

« La résistance telle que nous la comprenions alors prenait toutes les formes capables de soutenir le physique et le moral des détenues et d’affaiblir le potentiel de guerre de l’Allemagne. »[33]

 

Où sont passés ces pavés dans la mare à défaut de vitrine? Où est donc cette grande tradition critique, journalistique et même scientifique de la France, celle qui défend avec courage l’homme dans ses dimensions de vérité, de justice et de fraternité - celle qui lutte contre l’asservissement et la propagande ?

 

Pourquoi notre expert en vue évite-t-il de nous expliquer sur le fond ce que tout étudiant en Licence d’histoire sait, ce qu’il ne peut ignorer lui-même de ces “traditions diplomatiques” dont il nous parle ? Appuyées sur la survalorisation et la soi-disant protection des minorités[34], celles-ci ont été forgées tout au long du colonialisme et ont été modelées à son service. C’est là un point essentiel et indiscutable.

 

Si l’on étudie cette relation organique entre pensée diplomatique et esprit de conquête et de colonisation depuis le 16ème siècle et surtout la fin du 18ème, nous pouvons alors comprendre ce qui aujourd’hui se passe en Syrie et ailleurs. Les accords de Sykes-Picot, le démembrement colonial, les accords non respectés, les massacres de l’Armée française… Avez-vous lu quelque rappel historique de ce genre dans les analyses autorisées, une critique des permanences actuelles de la pensée néocoloniale française dans ses actions politiques et militaires, notamment depuis l’ère de N. Sarkozy et même celle, finissante, de Jacques Chirac[35] ?

 

Écoutons A. Vitchek, grand reporter, écrivain et journaliste d’investigation évidemment peu connu en France, qui vient de publier ses entretiens avec Noam Chomsky sur le terrorisme et l’Occident :

« Après la Seconde Guerre mondiale, de l’Afrique du Nord à l’Iran, (les peuples) optèrent pour différentes formes de socialisme. Mais ils n’ont jamais été autorisés à suivre leur propre chemin. Tout ce qui était laïc et progressiste fut brisé, détruit par les maîtres occidentaux du monde. Puis vint la deuxième vague d’États semi-socialistes : la Libye, l’Irak, la Syrie. Ces derniers ont été bombardés et détruits aussi, car rien de socialiste, rien qui puisse être au service du peuple n’est toléré dans le « tiers monde » tel que conçu par Washington, Londres et Paris.

Des millions sont morts. L’impérialisme occidental a orchestré des coups d’état, dressé des frères les uns contre les autres, bombardé des civils et envahi directement lorsque toutes autres moyens pour atteindre ses objectifs hégémoniques avaient échoué. 

(…) Le résultat est atroce : l’une des civilisations les plus avancées de la terre a été convertie en l’une des plus rétrogrades. »[36]

 

De cela, de cette « kill list » (Libye, Irak, Syrie), le jeune arabisant M. Rey, très rapidement promu au Collège de France – le Saint des Saints vieillissant des lieux du savoir parisien – depuis sa soutenance de thèse sur la Syrie en 2013, ne peut certes nous entretenir[37].

 

L’écrivain serbe Slobodan Despot, amoureux de la langue française mais polyglotte, écrit avec justesse :

« La vraie guerre de civilisation, la seule, est là. Barbare comme le sac de Constantinople, apocalyptique comme sa chute, ancienne et sournoise comme les schismes théologiques masquant de perfides prises de pouvoir. Tapie dans les replis du temps, mais prête à bondir comme un piège à loups. C’est le seul piège, du reste, que l’empire occidental n’ait pas posé tout seul et qu’il ne puisse donc désamorcer. Étant entendu que la menace islamique n’est que le produit des manœuvres coloniales anglo-saxonnes, de la cupidité pétrolière et de l’action des services d’État occupés à cultiver des épouvantails pour effrayer leurs propres sujets, puis à les abattre pour les convaincre de leur propre puissance et de leur nécessité. »[38]

 

 

 

 

C. Grand, le spécialiste de la prolifération nucléaire et sa « guerre de Trente ans »

 Quant au géopoliticien Camille Grand[39], de la Fondation de la Recherche Stratégique, les choses sont plus évidentes encore tant son analyse est simpliste : “une guerre de trente ans”. Bruno Tertrais[40], maître de recherche dans ce même centre de recherche – et dont les « Prolifération nucléaire, Dissuasion nucléaire, Stratégie militaire” figurent comme mêmes spécialités que son directeur, explique dix jours après la parution de l’interview de ce dernier dans vos colonnes, que l’attaque massive de l’Arabie Saoudite contre le Yémen est « peut-être une « guerre de trente ans »».[41] La puissance d’analyse de la Fondation concernant notamment le Moyen-Orient – avec ses dizaines de chercheurs -  ne peut donc aller plus loin que cette formule binaire et lapidaire renvoyant à la « rivalité sunnite-chiite (…), conflit de longue haleine. »[42] ?! Cette clé peut-elle sérieusement ouvrir un tant soit peu la complexité de l’Orient actuel?

 

Équilibre et nuance, objectivité, démonstration ? Le lecteur est encore une fois laissé sur sa faim. La même doxa officielle est reprise fidèlement sans l’ombre d’un questionnement, d’un renouvellement conceptuel. Le conflit n’est que la conséquence « d’une révolution pacifique inspirée des événements de Tunisie et d’Égypte, (…) transformée en une guerre civile d’une brutalité insoutenable mettant aux prises plusieurs factions ».

 

Selon C. Grand, «la cruauté de la répression du régime a contribué à la radicalisation de la frange la plus extrême de l’opposition islamiste et a mobilisé des combattants étrangers venus du monde arabe et d’Europe, permettant l’essor de Daech, le soi- disant « État islamique ».” Dans d’autres colonnes, M. Rey n’hésite pas, lui aussi, à constater la même chose : « "La progression de l'EI en Syrie a constitué une véritable aubaine pour le régime."[43] En somme, Da’ech étant décrété comme une coproduction du « régime de Bashar », il faudra donc se résoudre à détruire la Syrie par des bombardements massifs pour vaincre cette tumeur bien opportune qu’est l' « État Islamique », aussi multivitaminé que multiforme. La boucle est bouclée, le raisonnement imparable !

 

C. Grand explique ensuite que “grâce au soutien financier et militaire résolu de ses parrains russe et, surtout, iranien, le régime contrôle encore une partie significative de la Syrie utile, au-delà de la seule zone alaouite”. Il suggère par là que Damas ne se préoccupe que des territoires utiles sur les plans économique et confessionnel et que son temps est compté. Nul mot bien sûr sur les flux ininterrompus d’argent, de mercenaires[44], de matériels[45] et de renseignement aussi, de la part des sponsors régionaux et extrarégionaux du terrorisme islamiste.

 

En dépit de toutes les évidences, tel le pyromane qui prédit une forêt plus verte après son incendie, ce directeur de la Fondation de Recherche Stratégique rappelle curieusement plus loin : “la Syrie de demain sera toujours multiethnique et multiconfessionnelle”. Dans cette dissonance cognitive continuelle, la “gestion confessionnalisée” du conflit reste l’un des leitmotiv les plus puissants de cette doxa obligatoire.

 

Vraie guerre confessionnelle ou vraie volonté qu’elle le devienne ? Da’ech est en guerre contre tous, sauf contre ses sponsors – pour le moment -, en Syrie comme ailleurs, pour asseoir son propre pouvoir, mais aussi pour répondre à un projet anglo-saxon déjà ancien : disloquer complètement le Moyen Orient, et avec lui tous les Etats-nations arabes, les réduire en petits Etats vassaux antagonistes. Nous devons donc remercier Samuel Huntington et son Choc des civilisations, qui a préparé le terrain, rappeler que ce chercheur a été avant tout « un conseiller très proche des présidents étatsuniens en matière de conduite de la guerre au Vietnam. »[46] A qui donc profitent ces forces qui poussent à la confessionnalisation du conflit sans fin, à l’affrontement perpétuel dans cette si riche partie du monde ? Pourquoi une telle explication en dépit des massacres dont sont victimes toutes les composantes religieuses et ethniques de la région, sunnites y compris ? Étrange pour ceux qui veulent « rationaliser des scénarios menant à la paix ».

 

Dans sa « narrative » officielle, C. Grand met en évidence la construction artificielle et perverse du discours convenu sur la question syrienne (et arabe), autant dans les milieux intellectuels que médiatiques, sans parler du politique. Lisons quelques-uns des thèmes favoris qu’il reprend sans rougir :

 

- Bashar Al Assad[47] ne peut faire partie de la solution “tant il porte une responsabilité écrasante dans les massacres comme dans l’émergence de Da’ech”. A noter à ce titre que « Bashar » a été plébiscité par plus de 80% de voix dans les dernières élections reconnues par les instances internationales[48] !

 

- L’existence d’une “frange démocratique”, alors que tous les rapports de renseignement occidentaux ont acté la disparition des unités« modérées » de l’ASL depuis au moins mi - 2013 ?! “L’opposition est faible militairement et divisée entre ses factions islamistes et sa frange plus démocratique.”…!

 

- le découpage surprenant mais réfléchi de la société syrienne – millénaire, rappelons-le – en éternelles « franges », allant de la « frange la plus extrême de l’opposition islamiste » et de la « frange démocratique ». Entre les deux, rien ? Aucune composante refusant autant l’autocratie fasciste islamiste que les impasses et les contradictions de la démocratie occidentale n’existerait donc ?! Cette société ne serait donc constituée que de franges, nullement de centre ?!

 

- la nécessité de “renforcer l’opposition modérée et rechercher les moyens de retirer au régime ses soutiens internes et externes.” Or, nul doute qu’au vu des terribles crimes contre l’humanité de Da’ech et des autres milices – « qui font du bon boulot… » dixit le grand collectionneur d’œuvres d’art L. Fabius[49], les soutiens sont au contraire plus forts encore, tant dans la majorité de la population[50], que dans l’opinion arabe et iranienne, sans parler de l’appui iranien et Hezbollahi, des milices irakiennes auxquelles s’ajoutent quelques bataillons panarabes[51]. Une mobilisation générale est en passe d’être décrétée dans les prochains jours…

 

- un “soutien sans équivoque des grandes puissances comme des acteurs régionaux (Turquie, Iran, Arabie saoudite)”. Hormis l’Iran, dont l’appui (avec la Russie) a été déterminant dans l’abandon des frappes aériennes par les USA début septembre 2013 (suivi de leur supplétif français mondialement ridiculisé), tout le monde –sauf ces fameux experts médiatiques – sait que la Turquie d’Erdogan et l’Arabie Saoudite des Ibn Seoud décadents et wahabi sont les moteurs régionaux de cette guerre par procuration. Même les supporteurs du club de Bastia l’on récemment exprimé avec leurs banderoles anti-PSG [52]!

Ah ces incorrigibles Corses !

 

On note par ailleurs de significatives erreurs discursives : la guerre en Syrie n’oppose pas « plusieurs factions entre elles » mais bien celles-ci contre le pouvoir de l’État organisé comme tel, quoiqu’on en pense. D’autre part, de quelle « radicalisation de la frange la plus extrême de l’opposition islamiste » s’agit-il ? Les factions ou « groupes islamistes extrémistes » – donc terroristes si je ne m’abuse ?! – ne sont-ils pas par définition radicaux et violents ?! Comment la « frange la plus extrême » peut-elle être encore « plus radicale » ?! Y a-t-il un extrême de l’extrême ?! La répétition continuelle du discours officiel – mantra, qui devrait transformer la réalité vraie par sa seule force incantatoire, fait dire des choses surprenantes.

 

En plus des contre-sens, de l’illogisme, de l’absence surtout de connaissance de ce qui se passe en Syrie et alentours, C. Grand redessine les lieux communs du seul « story telling » autorisé. Comment, par ailleurs - si l’on en croit son curriculum-vitae -, un spécialiste de la non-prolifération nucléaire du Quai d’Orsay, propulsé à la tête de la FRS[53], fréquentant les cercles et think tank euro-américains, a priori sans publication sur la Syrie ou le Moyen-Orient politique d’aujourd’hui, peut-il être invité au débat sur la Syrie? Mystère ! La mise au pas de l’Iran, comme sujet de recherche et « danger nucléaire » à neutraliser, passerait-elle d’abord par le chemin de Damas ? Tout pourrait alors commencer à s’éclaircir!

 

Journaliste-écrivain, notamment ancien responsable au service diplomatique de l’AFP, René Naba, nous éclaire différemment sur l’Iran :

«Comme un pied de nez à l’ensemble arabe, l’Iran, malgré guerres, embargo et ostracisme, accédera au rang de « puissance seuil nucléaire », alors que le Monde arable, qui a engagé près de 2000 milliards de dollars au titre des dépenses  militaires depuis le dernier tiers du XXème siècle, soit environ 50 milliards de dollars par an en moyenne, demeure privé des trois attributs de la puissance moderne – la capacité de projection de puissance, la capacité de dissuasion nucléaire, la capacité spatiale du renseignement -, autant d’attributs qui lui font cruellement défaut à l’ère de la société d’information»[54]

 

Djihadistes en Syrie - Néonazis en Ukraine : où sont passés nos journalistes ?

Dans un temps qui semble se rapprocher selon de sombres nuages dont la météo ne veut pas nous alerter, l’UE et avec elle la France risque probablement de lutter sur leurs sols contre de nouveaux chefs de guerre terroristes autant islamistes que néo-nazis (de l’Ukraine et d’ailleurs)[55]. Croyez-vous à une plaisanterie de mauvais goût, de mauvais augure ? Lisez les articles des journalistes, diplomates et politiciens les plus lucides, hélas étouffés par l’Omerta générale[56] à laquelle vous participez.

Justin Raimundo relate pourtant dans « L’Empire du Chaos s’installe en Europe. L’État islamique en Ukraine » :

« Le Bataillon Doudaïev compte environ 500 combattants, mais il y a aussi d’autres brigades djihadistes en Ukraine (…) Comme l’aide des États-Unis coule à flot en Ukraine, dans quelle mesure va-t-elle retomber sur ces alliés de l’EI – et quelle sera son utilisation future ? Si John McCain et Lindsey Graham arrivent à leurs fins, les armes américaines vont bientôt se trouver dans les mains de ces terroristes, dont il est sûr que le djihad contre les Russes se tournera vers l’Ouest et frappera les capitales de l’Europe.
C’est un retour de flamme avec une vengeance : nous créons nos propres ennemis, et leur donnons les armes pour nous faire du mal, alors même que nous affirmons notre besoin d’une surveillance universelle pour les combattre. Les savants fous formulant la politique étrangère américaine sont en train de créer une armée de monstres de Frankenstein – qui ne manqueront pas d’attaquer leurs créateurs bercés d’illusions. »[57]
Qu’écririez-vous alors ? Iriez-vous jusqu’à parler symétriquement de « guerre civile » et de « chefs de guerre »? Prendriez-vous en dernier recours les armes au risque de perdre la vie pour défendre votre famille, votre quartier, votre ville et votre pays, comme le font des centaines de milliers de Syriens, d’Irakiens, d’Ukrainiens du Donbass, de Libyens, de Libanais?...
Monsieur Ploquin, sans aller aussi loin dans cette hypothèse dramatique, combien de dizaines, de centaines d’heures avez-vous passées à vous documenter à toutes les sources possibles, à téléphoner à vos contacts, à séjourner ne serait-ce qu’à Beyrouth ou à Amman, pour pouvoir présenter ce dossier et ceux à venir? N’est-ce pas là le propre et l’honneur du journaliste intègre, soucieux de faits avérés ? Comment, dans votre « Forum et débats», un tel dossier au titre prometteur, « Quelle paix en Syrie ?», peut-il être biaisé par une propagande à mille lieux de sa meilleure tradition journalistique?
M. Rey et C. Grand sont hélas dans leurs rôles respectifs de cautionnement et de réitération de la voix officielle – de plus en plus inconfortable depuis les attentats de janvier dernier? – de l’Élysée, de Matignon et du Quai d’Orsay[58]. Sans légitimité scientifique sur la question (autre que celle que leur donnent leur fonction d’intellectuels appointés par l’État), et de manière flagrante en ce qui concerne C. Grand, ils expriment ce qui est attendu d’eux, ce pourquoi ils sont rétribués[59]. Rendez-vous compte pour M. Rey : enseigner un moment dans des lycées du « 93 » (Saint-Denis), face à des classes majoritairement constituées d’enfants d’immigrés musulmans et passer en deux ans du statut d’étudiant à celui de professeur au Collège de France ! Une ascension pyrotechnique !
Les mettre avantageusement en scène au détriment de la juste et inquiète parole de Mgr Gollnisch et des évêques d’Alep[60], parole sincère et minimisée, curieusement réduite dans un média pourtant chrétien, est une faute et une trahison à l’égard de vos frères en religion.
De qui parlent ces derniers évêques? Qui défendent-ils ? Par qui sont-ils bombardés ? A qui s’adressent-ils en disant « verrouillez les portes des armements » ? A l’Armée syrienne ? À l’iranienne ? Pourquoi cette lettre de ces gens d’église parle-t-elle de « Patrie », notion férocement combattue par ces « franges islamistes » même « démocratiques », et très éloignée de leur conception politique d’un Dar el Islam réduit à un Dar el Harb pathologique – un état de guerre perpétuelle? Les auteurs ne prennent-ils pas position sans équivoque pour un retour à la stabilité de l’Etat syrien? A qui s’adresse, enfin, Mgr Gollnisch quand il demande « la sécurisation rapide des lieux où les chrétiens ont été chassés. » [61]? Aux légions de Joubhat el Noussra ou d’Ahrar el Cham 
Comme le dit André Vitchek :
« Le Hezbollah est le seul grand mouvement dans le pays qui se bat pour le bien-être social de la population. Il se bat aussi contre Israël lorsque ce dernier envahit. Et maintenant, il est aux prises avec l’EI dans un combat épique. Mais le mouvement figure sur la liste des organisations terroristes dressées par l’Occident, parce qu’il est chiite, et parce qu’il est trop « socialiste » et trop critique envers l’Occident. »[62]
Chers journalistes, cher rédacteur en chef, qui lutte sur le terrain de l’horreur et de la mort brutale contre Da’ech et ses groupes satellites ? Non pas avec des avions à l’altitude prudente, mais « on the ground » ? Seuls, l’Armée syrienne, le Hezbollah[63], l’Iran, l’Armée du Yémen, ses tribus et comités révolutionnaires  - pas seulement Houthis[64] -  ainsi que des groupes de résistance palestiniens[65]. Qui d’autre?
Pensez-vous qu’une demi-douzaine de sorties quotidiennes au maximum de nos 12 Rafales – qu’on tant de mal à vendre depuis 20 ans et qui subitement sont commandés par le Qatar ! – et 9 Étendards, depuis le pont de notre glorieux porte-avions « le Charles de Gaulle », voire un peu plus en comptant les bases de Djibouti et ailleurs, puisse suffire  à lutter contre Da’ech? Sans blague !
Pourquoi alors les autorités étatsuniennes viennent-ils de le faire sortir, ce Hezbollah, de ses listes noires ? Pourquoi, aussi, des personnalités politiques françaises, des hauts fonctionnaires, reprennent-ils langue avec cette organisation « terroriste », de manière confidentielle ou, il y a quelque temps, publique comme avec F. Fillon, ancien premier ministre de N. Sarkozy – qui a pris position également en faveur d’un accord 5+1 / Iran juste[66] ? Pourquoi, enfin, les plus hautes autorités de la diplomatie russe – et pas uniquement elles - ont-elles des relations de plus en plus suivies et étroites avec le Hezbollah devenu un acteur incontournable au Moyen-Orient  - ce qui est reconnu même dans une certaine presse à Tel-Aviv[67]?
Sur uniquement la Syrie, l’Irak et le terrorisme islamiste, et notamment, Da’ech, avez-vous pris le temps d’écouter avec attention les derniers discours de leur leader, le charismatique Seyyed Hassan Nassrallah, respecté même par les anciens chefs militaires israéliens (non pas les ambitieux proches de Bibi) ? Les médias arabes relèvent toujours, lors de ses discours, des rues, des places quasi-vidées de leurs passants du Nil à l’Euphrate. Pourquoi ? Analysez les déclarations de ce chef, homonyme par ailleurs – c’est dire l’Orient – d’un prêtre gréco-catholique, « un marathonien au grand cœur » localement respecté pour son aide à 30 000 réfugiés, dans le nord-est de la Bekaa et dont parle l’Œuvre d’Orient[68].
Quant au Président Bashar el Assad, même certains médias israéliens reconnaissent sa grande intelligence et sa haute personnalité. Par exemple, le quotidien israélien Maariv affirme, décembre 2014 :
« L’immense tache qu’est celle d'Assad pour gérer une guerre d'usure qui dure (…) sans que sa popularité en pâtisse (…)  C'est en ceci, qu'on devrait reconnaitre en Assad, un leader authentique. »
Ce journal se réfère à un des commandants du front nord (frontières de Palestine occupée près du Liban) :
«  Assad reste toujours le maitre dans des régions qu'il contrôle car c'est un vrai leader. Ses opposants se moquaient de lui, en disant qu'il est restera en fin du compte un ophtalmologue et pourtant, cela fait quatre ans qu'il gère une guerre d’envergure, ce qui est une tache extrêmement ardue. »
Et le journal d'ajouter :
« Assad a l'intime conviction qu'il va finir par sauver le monde du sanguinaire Daech et le plus curieux dans tout cela est que les positions d'Assad qui suscitaient notre moquerie dans le temps, nous semble désormais relativement logiques. »
 
La presse israélienne serait-elle plus libre qu’en France, monsieur Ploquin ?!
Qu’est devenu le Collège de France ?! Celui que j’ai connu grâce à André Miquel, grand spécialiste du monde arabe, dont l’œuvre et les conférences nous ont tant ravis il y a quelques trente ans ? Ce Collège dans lequel ont officié de grands penseurs libres, tels l’historien Maurice Agulhon et le sociologue Pierre Bourdieu? De grands noms, sensibles aux attentes des étudiants (les plus faibles), toujours acérés dans leurs critiques des plus forts. Je pense aussi à Cornelius Castoriadis qui constatait, il y a près de 40 ans déjà, à propos de l’un des propagandistes du chaos, B. - H. Lévy, l’abandon de l’esprit libre et critique :
« Sous quelles conditions sociologiques et anthropologiques, dans un pays de vieille et grande culture, un “auteur” peut-il se permettre d’écrire n’importe quoi, la “critique” le porter aux nues, le public le suivre docilement — et ceux qui dévoilent l’imposture, sans nullement être réduits au silence ou emprisonnés, n’avoir aucun écho effectif ? »[69]
Comme ils nous manquent ces libres penseurs…
Quand à la FRS, dont l’on a pu remarqué l’afflux massif et rapide d’argent et son réaménagement rapidement après le 9/11, dans son site parisien, rue Damesme, il suffit de suivre l’actualité de ses productions et rencontres pour se rendre compte que l’esprit critique, la liberté de pensée et d’expression semble peu goûtés hormis la ligne officielle de ses commanditaires et de ses bailleurs. Quel gâchis !
Dans une récente table-ronde filmée sur Europe1, Emmanuel Todd, socio-économiste et (vrai) spécialiste de la Russie – l’un des trop rares intellectuels indépendants, avec Jacques Sapir de l’EHESS, à s’opposer à la bêtise de la russophobie obligatoire -  déclarait que le Monde, « journal de référence », est « menteur » et « dangereux »[70]. Il pointait ce que de nombreux lecteurs et spectateurs constatent tous les jours : la presse anglo-saxonne, quand bien même très poutinophobe et russophobe, apporte néanmoins des faits au lecteur. Pour notre « prestigieux » quotidien, il n’y a même plus de présentation de faits. Triste constat de la presse écrite française en général. Que pourrait-elle faire sans la perfusion de l’État – c’est-à-dire de notre argent ?
Le choix que vous avez fait aurait pourtant pu être équilibré par des spécialistes objectifs et reconnus comme tels, en plus d’être courageux. Et il y en a, syriens ou même français. Nous pensons à des personnalités reconnues comme Richard Labévière, par exemple, qui expliquait dans un média russe :
« Sarkozy a réintégré la France au commandement intégré de l’OTAN… Et on pensait qu’avec François Hollande les choses seraient un peu différentes et qu’on reviendrait à une certaine vision gaulliste. Malheureusement, il n’en a rien été ! (…) Ainsi on voit que l’on a une politique française qui s’appuie principalement sur l’Arabie Saoudite maintenant dans le monde arabe… Pourquoi ? Espérant peut-être signer des contrats importants avec l’Arabie Saoudite. Cela me semble une vision politique de courte vue et cela finira par un isolement diplomatique de la France, sinon la fin de la diplomatie française dans le monde arabe au Proche et Moyen-Orient ! »[71]
Autisme ? Ralliement à la meute des confrères ? Conformisme et autocensure ? Ligne rouge à ne dépasser en aucun cas ? Tout cela à la fois peut-être. Comme pour cette presse aussi orthodoxe, suiviste que médiocre, j’espère de tout mon cœur que La Croix saura sortir de ce maléfice, retrouver sa rationalité et son éthique – sa valeur d’exemple dont elle jouit encore, se garder de toute propagande que nous pourrions payer au prix fort[72].
Cette propagande, cette ignorance généralisée et imposée, me fait penser enfin au cri de Slobodan Despot, récemment auréolé d’un grand prix littéraire :
« Ce qui m’impressionne le plus, c’est la quantité d’ignorance et de bêtise qu’il vous faut déployer désormais pour entretenir votre guignolerie du « ramassis de brutes qu’il s’agit de débarrasser de leur dictateur caricatural et sanglant avant de les éduquer à servir la « vraie civilisation » (…) l’inculture généralisée du « chercheur » universitaire parisien qui prétend nous expliquer (leur) obscurantisme et (leur) arriération. 
(…) Du coup, la propagande a tout envahi, jusqu’à l’air qu’on respire (…) et, surtout, vingt-cinq ans de guerres coloniales, calamiteuses, sales et ratées qui ont fait du Moyen-Orient, de la Bosnie à Kandahar, un enfer sur terre. (…) Votre gouvernement contre leur régime… ».[73]  

Il y a véritablement urgence, en France comme en Europe. C’est ce dont s’alarme aussi John Pilger dans « Pourquoi la montée du fascisme est encore le problème » :

« Dans les années 1990 (…)  les successeurs d’un mouvement nazi ukrainien eurent droit à leur chance. (…) L’apogée fut atteinte en 2014 quand l’administration Obama organisa un coup d’état à 5 milliards de $ contre le gouvernement élu. Les troupes de choc étaient des néo-nazis, le Secteur Droit et Svoboda. (…) Ces fascistes font maintenant partie du gouvernement de Kiev issu du coup d’état.»
Il poursuit :
« Une fois de plus, il y a un objectif sérieux. Les dirigeants du monde veulent non seulement que l’Ukraine soit une base de missiles; ils veulent aussi son économie. (…) Par-dessus tout, ils convoitent le puissant voisin de l’Ukraine, la Russie. Ils veulent balkaniser ou démembrer la Russie et exploiter les plus importantes ressources en gaz naturel de la Terre (…) Leur homme à Moscou était Boris Eltsine, un alcoolique, qui laissait l’économie de son pays à l’occident. Son successeur, Poutine, a ré-établi la Russie en tant que nation souveraine; tel est son crime.
Notre responsabilité est claire. Il nous faut identifier et exposer les mensonges irresponsables des faiseurs de guerre et ne jamais collaborer avec eux. Il nous faut réveiller les grands mouvements populaires qui ont apporté une civilisation fragile aux états impérialistes modernes. Plus important encore, il nous faut résister à l’endoctrinement  au nom de notre esprit, de  notre humanité, et de  notre dignité. Si nous restons silencieux, la victoire leur est assurée, et la menace d’un l’holocauste plane. »[74]
Le Père Rodrigo Miranda nous le dit encore et encore : « il faut respecter la diversité et la culture de l’autre, c’est comme cela qu’on garantit la paix », sinon, à terme, le risque est « une radicalisation toujours plus forte, qui est prête à contaminer également l’Europe, comme cela se produit sous nos yeux aujourd’hui. »[75]
Mesdames et messieurs les journalistes, ne continuez pas de scier la branche sur laquelle vous êtes assis, de couper même l’arbre qui nous relie les uns aux autres et nous protège tous.


[3] 21 avril 2015. De plus en plus de lecteurs cherchent désormais ailleurs un vrai traitement de l’information, rejoignant en cela ce que le grand journaliste d’investigation, Robert Parry, vient de déclarer récemment : les médias iraniens, pour ne citer qu’eux, sont plus objectifs     que ceux des USA (pourquoi donc, dans notre pays où la liberté d’expression est si précieuse, la chaine iranienne TV Press a-t-elle été interdite ?). D’autres témoignages de professionnels de l’information courageux corroborent ce point de vue. http://www.truth-out.org/author/itemlist/user/45130# et en particulier : http://www.truth-out.org/news/item/30563-syria-s-nightmarish-narrative, l’article d’O. Berruyer : https://www.les-crises.fr/syrie-mensonges-medias/ ; sur les armes chimiques : http://blogs.mediapart.fr/blog/khaled youssef/150315/armes-chimiques-en-syrie-le-mensonge-devenu-verite et, bien sûr, l’un des textes de Michel Collon : http://www.michelcollon.info/Syrie-conflits-et-mensonges.html?lang=fr
[4] Plusieurs observateurs confirment l’essor  actuel de la Russie et sa (surprenante ?) résilience, en dépit des sanctions et de l’attaque du Rouble, comme ici : http://www.globalresearch.ca/russias-remarkable-renaissance/5435643
[6] Des témoignages des milieux du renseignement ont en effet récemment reconnu le grand rôle joué par la Syrie, pendant 30 ans, dans la protection du sol français des attaques terroristes.
[14] Et qui s’ef