Publié le 25/12/2021
Le récentisme appliqué à l’histoire du Levant
(La chronologie et la synchronie dans l'histoire des religions du Livre, selon les dernières découvertes scientifiques[1], un résumé par Maria Poumier)
L’hostilité entre chrétiens et musulmans s’appuie sur des épisodes conflictuels de l’histoire : l’invasion arabe arrêtée à Poitiers par Charles Martel en 711, les croisades et le sac de Jérusalem pour la reprendre aux musulmans etc. Mais les historiens ont des outils pour nous donner une vision plus exacte des choses, et nous ne devrions pas en rester au ressassement de clichés réducteurs. D’une part il y a eu de nombreux autres moments de coopération entre les uns et les autres, et d’autre part, il est important de surmonter l’esprit de clocher, ou de minaret, conduisant à considérer sa communauté comme dotée d’une supériorité congénitale qui lui donnerait tous les droits.
Aux origines de toute religion, il y a des phénomènes syncrétiques, de fusion d’apports divers. Ce qui est remarquable quant à la dynamique d’expansion et de solidification du christianisme et de l’islam, c’est qu’il s’avère qu’ils sont globalement contemporains, contrairement à ce qu’on nous a appris à l’école. Nous allons évoquer quelques traces de cette synchronisation, qui nous rapproche, tant dans le temps que dans l’espace. C’est après cette première étape originelle, et avec la consolidation d’aires géographiques spécifiquement chrétiennes ou musulmanes autour de grandes villes qui sont des pôles, que s’écrivent des histoires différentes, se tournant même le dos dans des épisodes d’affrontements politiques et militaires.
En étudiant la fin de l’empire romain et le Moyen âge, les historiens « récentistes » arrivent à la conclusion que l’histoire telle qu’elle nous est enseignée, compte 700 ans en trop, entre l’an 300 et l’an mil, ce qui modifie aussi énormément l’histoire de l’islam ; cela explique d’abord d’énormes trous dans la succession des évènements autour de 3 pôles géographiques : Allemagne, Rome, Byzance + monde slave (« l’Antiquité impériale» informe sur le monde romain et son sud̶ ouest ; elle est en fait contemporaine de « l’Antiquité tardive » qui nous informe sur le sud̶̶ est byzantin, et le « Haut Moyen Age », qui est le cadre dans lequel nous est surtout parvenue de l’information sur le monde germanique.
La région qui nous intéresse ici est le berceau commun de l’islam et du christianisme. Se télescopent donc au Levant, selon les conclusions de l’archéologie, de la numismatique et de l’épigraphie, la fin de la dynastie des Sévère, en 230, et l’effondrement dit de l’ «an mil », selon le calendrier grégorien. Charlemagne écrit en latin classique, et bâtit en style romain, c’est à dire roman. Or entre Charlemagne et le calife Haroun al̶ Rachid il y a eu des échanges diplomatiques, des voyages, notamment du côté de Charlemagne, d’émissaires, de diplomates, qui ont rencontré Haroun al-Rachid et qui sont revenus auprès de Charlemagne chargés de cadeaux envoyés par le Calife (Haroun al Rachid a confié la clé symbolisant la charge de la garde du Saint Sépulcre à Charlemagne). Et Charlemagne « Carolus Magnus » peut être assimilé à un successeur germanique des empereurs romains, Karl signifiant exactement « Auguste » ou empereur. Son règne en tant que « Roi des Francs » et fondateur du Saint Empire germanique (entité comparable à l’Union européenne de notre époque) se situerait donc non pas vers 800, mais au troisième siècle. Or le calendrier des musulmans est indépendant de celui de l’Europe, et selon celui ̶ ci, la mort du septième calife abbasside Haroun al Rachid a lieu en 809. Il se peut que « Charlemagne » désigne l’un des Karl successifs, confondus en un seul personnage légendaire, et qu’il y ait aussi fort à faire pour coordonner les deux échelles temporelles.
C’est à la Renaissance qu’a été fixé le calendrier chrétien officiel, canonique, puis il a été répandu par les jésuites, et c’est encore aujourd’hui le cadre de référence du monde entier.
Revenons aux origines de l’Islam : les Sévère constituent une dynastie fondée par le mariage de l’empereur romain Septime Sévère avec la fille d’un prêtre du dieu Héliogabale, dont le temple, dans l’actuelle ville de Homs, en Syrie, contient une pierre noire. Héliogabale est une forme latinisée de Allah (ou du moins Lah, qui signifie une divinité parmi d’autres, car Allah se compose de l’article défini « al » et du mot « lah ». Allah c’est le Dieu unique.) et Gabal, qui en arabe, veut dire dieu de la montagne. Tout cela nous le savons grâce à l’historien Hérodien de Syrie, qui décrit la célèbre pierre noire avec une extrémité pointue et une basse ronde en forme de cône. Les Phéniciens (actuels Syriens) soutiennent à son époque que cette pierre est descendue de Zeus (livre 5, chap. 3).
L’essor du christianisme et de l’islam furent donc contemporains. La ville de Petra, en Jordanie, fut découverte par un voyageur suisse en 1812. C’était un carrefour commercial important, reliant l’Egypte, l’Arabie, la Chine, l’Inde, à la Grèce et Rome, par des caravanes. Ce sont les Nabatéens qui tiennent le commerce, et ce sont des Arabes. En 106, l’empereur Trajan, dont le père avait été gouverneur de Syrie, annexe le royaume nabatéen, qui devient la province d’Arabie pétraenne. Son successeur Hadrien se rend dans la région, et la rebaptise Métropole de Petra Hadriana, comme en atteste la numismatique. Les Sévère favorisent l’épanouissement de la ville, entre 190 et 230. C’est alors que s’implante la dynastie des Omeyades, musulmans, qui écrivent en araméen. Ils sont célèbres pour leurs connaissances scientifiques, ils sont très civilisés ; et l’on retrouve leurs pièces de monnaie jusqu’en Pologne, en Norvège, en Inde, et au̶ delà, dans les mêmes strates archéologiques que les monnaies romaines impériales, par exemple à Raqqa (en Syrie). Les premières de ces monnaies sont produites à Jérusalem, elles sont dans le prolongement direct des monnaies nabatéennes, lesquelles comportent souvent des menorah juives (des chandeliers à sept branches), avec des mots en caractères arabes. En architecture, les Omeyades suivent les modèles romains, avec la technologie du deuxième siècle, dans le style hellénistique sophistiqué. Et leurs monuments se superposent à des structures caractéristiques du Premier siècle. La mosquée de Damas, le plus célèbre monument omeyade, se dresse sur des colonnes romaines parfaites. D’ailleurs les Abbassides, rivaux des Omeyades, suivent également la technologie romaine des « millefiori », en matière de verrerie, comme on le constate à Samarra, leur capitale, en Irak, avec profusion des carreaux émaillés dits azulejos en Espagne et au Portugal.
Il n’y a donc pas eu d’Arabes sauvages, arriérés, débarquant brusquement dans le Croissant fertile à partir du septième siècle. Et les Omeyades se superposent en tout aux Nabatéens, avec leur capitale Damas, et où vivaient aussi les Ghassanides. Ces derniers furent des alliés des Byzantins chrétiens. Leurs califes sont des monothéistes anti trinitaires, et conservent certaines coutumes bédouines comme la polygamie.
La géographie islamique officielle aussi se trouve remise en question.
Dans les mosquées omeyades, la qibla est orientée vers Petra. C’est plus tard que al Zubayr, calife dissident, emporte la pierre noire de Petra et l’installe à la Mecque dans une nouvelle Kaaba.
Mais les Omeyades traditionalistes continuaient à construire leurs mosquées face à Petra, jusqu’au tremblement de terre qui démolit les systèmes d’adduction d’eau, après quoi les habitants quittèrent la ville (selon le calendrier officiel, en 713). Et ce sont les Abbassides qui rebaptisèrent la ville de Yatrib « Médine », autrement dit la cité par excellence.
Le révisionnisme géographique se combine avec le révisionnisme chronologique, pour nous livrer un nouveau récit cohérent sur les origines de l’islam, qui se situeraient dans le même berceau du Levant que le judaïsme et le christianisme. Mais tout cela donne encore lieu à d’âpres disputes parmi les islamologues.
Les découvertes sur Jérusalem
Pour ce qui est de Jérusalem, la ville phare universel pour les trois religions, il faut désormais admettre quelque chose qui déplaît énormément aux archéologues israéliens, aux religieux juifs, et aux gouvernements de l’État juif. Ce qui est en jeu, c’est l’emplacement du temple détruit par les troupes de Titus. Sur le « Mont du Temple », où se trouvent maintenant le Dôme du Rocher et la Mosquée Al Aqsa, se trouvent en fait les ruines d’une forteresse romaine, édifiée par Hérode en l’honneur de l’empereur Antonin. Ce sont les Croisés qui imaginèrent que le temple juif se trouvait là, et qui ont implanté cette croyance. Or, si le « temple de Salomon » ne se trouve pas au sommet de la colline sacrée, le projet juif de rebâtir sur « L’esplanade des mosquées » leur « troisième temple », en rasant les mosquées, n’a plus de justification historique. Et le mur occidental de la forteresse, dit « mur des lamentations », ne mérite aucune vénération particulière de la part des juifs, d’autant moins qu’il ne date pas de l’époque du roi David ; la chronologie révisée se base sur le fait que la strate omeyade suit immédiatement la strate hérodienne, celle qui constitue la base du mur ; la strate omeyade à son tour fait place sans transition non plus à la strate ottomane, la plus récente. On comprend alors pourquoi les Omeyades appelaient Jérusalem Iliya, ce qu’atteste la numismatique. C’est une variante arabe du nom donné à la ville par l’empereur Hadrien « Aelia capitolina ». Jérusalem était donc, comme toute la Syrie, peuplée en grande partie d’Arabes, depuis aussi longtemps que par les Judéens, devenus plus tard les juifs. Les légions romaines qui s’implantèrent dans la région étaient en fait des locaux, recrutés en Syrie, c’étaient donc des soldats arabes nabatéens, à la solde des proconsuls romains. De même, l’Aelia capitolina fut bâtie aussi par des Arabes du voisinage, avec des architectes renommés, tel Apollodore de Damas. Au demeurant, Arabes et Judéens ne se distinguaient guère, et se considéraient tous comme descendants d’Abraham. L’hébreu ancien est un dialecte arabe, et même le nom de Yahvé est d’origine sémitique ; Yahvé se dit « Yahou », c’était la divinité d’un groupe de tribus sémitiques, les Shasu, vivant entre l’Egypte et Madian. [2]
Mais où se trouvait donc le temple de David et de Salomon, détruit par l’empereur perse Nabuchodonosor en 588 av- JC, puis reconstruit et rasé en 70 par Rome, afin de mettre fin aux révoltes incessantes des juifs? Les archéologues le situent en contrebas, sur le flanc sud est, dans la vallée du Cédron, en bordure de l’oued. Les juifs pratiquant des sacrifices d’animaux en grande quantité, ils avaient besoin d’installations en bordure d’un cours d’eau, comme les abattoirs dans toute l’Europe.
D’où viennent les Arabes de l’Andalousie ?
On dit habituellement que l’islam naît de l’hérésie arianiste dans le christianisme, qui se serait répandue au cours des siècles précédant la conquête arabe de al Andalus, mais on n’a pas de trace matérielle de l’existence de ces Ariens, encore moins de leurs déplacements vers le sud de l’Europe. Il est probable que les premiers musulmans y étaient bel et bien présents, depuis le temps des Romains au moins, comme les juifs et les Phéniciens (Syriens), et tout comme les chrétiens. C’est la Libye qui faisait le lien avec le Liban (Tripoli et d’autres noms de lieu sont identiques dans les deux pays), les Ghassanides, adorant Jésus mais refusant le dogme de la Trinité propre aux chrétiens, étaient des Libyens, ils seraient donc les authentiques disciples du mythique Arius.
Le « récentisme » appliqué au monde musulman est encore dans une phase polémique. De fait il rapproche les différentes obédiences chrétiennes et musulmanes, dans le temps et l’espace, qui constituent l’héritage immédiat et naturel de l’empire romain. Rien d’étonnant au fait que « les Arabes » aient transcrit, traduit et répandu les grands textes de l’Antiquité latine ; et les chrétiens n’ont pas eu à « redécouvrir » ce trésor plusieurs siècles après.
Il y a longtemps qu’a été perçue et figurée la convergence des trois régions spirituelles, christianisme oriental (Byzance), occidental (Rome), islam (La Mecque), vers un cœur mystique, Jérusalem. Voici une carte déployant l’harmonie de cette fleur à trois pétales, elle est de 1581.
« Sur la carte multicolore d’Hans Buenting (1581), notre monde ressemble à une fleur ; les trois pétales représentent les trois continents : Europe, Asie de l’Ouest, Afrique, unis par la Terre Sainte. Mais cette carte peut être interprétée, aussi, d’une autre manière : la fleur est la foi en Christ et en Notre Dame, et les trois pétales en sont l’Islam, le Catholicisme et l’Orthodoxie. Tandis que les Occidentaux voulurent voir dans l’Islam une antithèse du christianisme, les chrétiens orientaux, dont le plus éminent fut Saint-Jean Damascène, voyaient dans l’Islam une autre Eglise chrétienne, sur un pied d’égalité avec l’Eglise catholique, occidentale. Et, de fait, l’Islam, avec la vénération qu’il a pour le Christ et Sitt Maryam, n’est pas aussi éloigné de l’Orthodoxie que peuvent l’être les calvinistes iconoclastes, anti-prélats, et anti-mariaux. Les trois Eglises offrent des lectures différentes du même concept : l’Eglise orthodoxe met l’accent sur la Résurrection du Christ, les Catholiques se focalisent sur le Crucifié et les Musulmans suivent l’Esprit Saint. Le rejet par les Orthodoxes du filioque [= « Et (au nom) du Fils »] constitue un lien supplémentaire entre eux et l’Islam ; cette proximité théologique est ancrée dans le voisinage géographique.
Cette vision de l’Islam en tant que troisième grande Eglise de notre oikouménè (notre univers mental commun, œcuménique) est fondamentale [pour résoudre les problèmes de l’Europe, entre autres]. [3]
[1] En France, c’est Laurent Guyénot qui nous met à jour de la recherche mondiale dans ce domaine (Voir son livre numérique Un millénaire de trois siècles, Kontrekulture 2021).. La trilogie de Youssef Hindi sur Islam et Occident évoque aussi les erreurs historiques officiellement validées quant à l’histoire des origines et des relations des trois « religions du Livre » entre elles ( voir en particulider le tome II). On trouve sur wikipedia les avant̶ ̶ dernières découvertes dans ce domaine, https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cole_hypercritique_(islamologie).
Voir aussi https://stringfixer.com/fr/Revisionist_School_of_Islamic_Studies (traduction automatique en français), et https://de.wikipedia.org/wiki/Saarbr%C3%BCcker_Schule
[2] Voir tous les détails sur l’origine de Yahvé, un dieu foncièrement malfaisant, dans Islam et Occident, par Youssef Hindi, Tome 2, chapitre 2.
[3] « Le Trilobe et la Croix », par Israël Adam Shamir, 2004. L’auteur insiste sur le fait que la Terre sainte reste le lieu de convergence des trois religions, et que les guerres du Moyen Orient sont des guerres autour de cet enjeu, le sionisme étant une tentative satanique pour usurper le rôle de gouvernement mondial, avec Jérusalem pour capitale. Voir http://www.israelshamir.net/French/Trefoil_fr.htm